Deux crachats ont suffi aux Français de Sordide pour fixer un univers crasseux, malsain, sale comme la neige en hiver. En un mot : âpre. Deux méfaits qui ont prouvé qu’on pouvait encore ruminer du black metal sans oublier d’où vient le genre : des profondeurs d’une fosse septique. "La France a Peur" puis "Fuir la Lumière", deux titres dont la radicalité claque comme un nerf de bœuf.
Mais là où nombre de médiocres cachent leur nullité, leur misère ou tout simplement leur manque d’inspiration derrière le paravent d’une démarche soi-disant true et evil, les trois vilains réunis sous cette sordide bannière sont tout sauf des bras cassés inconnus en dehors de leur cage d’escalier. Issus respectivement (et entres autres) des rangs de Monarch, Ataraxie et Telümehtar, Nehhluj (chant et guitares), Nebhen (basse) et Nemri (chant et batterie) sont des musiciens trop malins pour se contenter de faire du bruit en prenant la pose au milieu d’une forêt, grimés comme des pandas qui ont la chiasse. Moins bordélique et sauvage qu’il n’y paraît de prime abord, leur black trahit finalement une acuité certaine qui s’accouple à une forme de brutalité primaire, à une noirceur anarchiste. Ce que confirme ce" Hier Déjà Mort" attendu comme un Graal dégueulasse et vicieusement impie.
On aime souvent deviner la maturité dans un troisième album. Ce genre d’analyse paresseuse se heurte bien sûr à la dimension farouchement organique et ce refus de céder à la moindre forme de beauté qui collent à la peau de Sordide. Est-ce à dire que le matériau que pétrit le trio n’évolue pas, englué qu’il est dans un foutre vénéneux ? De loin, "Hier Déjà Mort" ne surprend pas. Ou s’il surprend, ce sont par ses atours plus frontalement black metal, celui qui dilate les orifices à la façon d’une furieuse excavatrice. Que son menu soit encadré par deux courtes pistes instrumentales semble dénoter une certaine facilité. En réalité, par les remugles sinistres qu’ils suintent, 'Prélude’ et ‘Postlude’ ont toute leur place dans un ensemble méphitique embué de sang menstruel.
Entre les deux s’enfilent six saillies irriguées par cette fièvre plus punk que black qui poissait déjà "La France a Peur" et "Fuir la Lumière". Les textes en français sont crachés comme des manifestes incendiaires et revendicateurs, lesquels participent donc d’une urgence plus révolutionnaire qu’autoritaire. La cadence frénétique qui secoue 'La Peur du Noir' ou 'La Chute' procède aussi d’une brutalité aussi viscérale que bitumeuse, enracinée dans une lèpre urbaine. Mais la durée générale de ces compos (entre cinq et huit minutes au garrot en moyenne), les boyaux reptiliens qu’elles empruntent ('Carapace', 'Le Cadavre ou 'L’Offrande') et la nocivité ferrugineuse de guitares souterraines contribuent à polluer cette vision d’un Sordide énervé et cradingue. Car derrière l’âpreté bouillonnante de traits survoltés, une écriture extrêmement réfléchie irrigue tout du long cet opus auquel des morsures dissonantes ('La Saveur de la Fièvre') et une rythmique mangeuse d’espace confèrent une force obsédante à des années-lumière de la bouillie sonore attendue.
Plus que jamais, Sordide s’impose comme le chaînon manquant entre Void Paradigm et Deathspell Omega.