Après le suicide de Ian Curtis, les trois survivants de Joy Division et la compagne de l'un d'entre eux forment New Order en 1980. Après un habile album de transition, le nouveau groupe s'est détourné des ambiances lugubres et froides portées par la voix caverneuse de Ian Curtis, produisant des tubes dance interplanétaires ('Blue Monday', 'Bizarre Love Triangle') et des albums malheureusement trop méconnus. Porté par la basse de Peter Hook et la voix fragile de Bernard Sumner, les Mancuniens ont ouvert la porte à l'électronique ou l'indie rock. Aujourd'hui, approchant les quarante ans d´existence et sans Peter Hook, New Order sort un nouvel album live, enregistré au Manchester International Festival en 2017.
Cet album au nom imprononçable brandit la carte de la surprise. Premièrement, le célèbre artiste contemporain Liam Gilick s´est chargé de couvrir l´espace sonore, assistant les cinq musiciens d´une douzaine de synthétiseurs. Ensuite, de la plupart des albums studio (à l'exception du premier) ont été retenus un voire deux morceaux plus obscurs. Seuls le single 'Shellshock', l'incontournable 'Bizarre Love Triangle' extrait de ''Brotherood'' ou encore 'Sub-Culture' permettront au néophyte de nager dans les eaux internationales. Pas de 'Blue Monday', de 'Round And Round' ou de 'Crystal' et cette décision - certes arbitraire - honore pourtant le groupe.
Le concert débute par une version instrumentale de 'Times Change' avec sa mélodie incontournable accompagnée d'un concerto. On regrettera toutefois l'euphorie de Stephen Morris dont les percussions new age étouffent un peu l'émotion. Après ce début grandiose (auquel fera écho une heure plus tard le second instrumental 'Elegia'), New Order réussit à ressusciter des morceaux obscurs en leur insufflant sa magie personnelle, entraînante et originale tout en innovant avec modernité. Parmi ces instants intemporels, 'Bizarre Love Triangle' s'envole vers de nouveaux cieux étoilés, 'Ultraviolence' nous plonge dans la moiteur d'une jungle rythmique, 'Shellshock' retarde volontairement l'entrée du chant pour se perdre dans des boucles synthétiques. Très inspiré par Kraftwerk, 'Your Silent Face' a droit à un véritable lifting synthétique. A l'inverse, 'Dream Attack' le tout récent mais poussif 'Plastic' et 'Vanishing Point' tournent en rond et s'éternisent sur leur final. Les portions sont trop généreuses (une chanson de New Order fait en moyenne 5 minutes) et un surplus de crème aurait pu être retiré du gâteau...
Bernard Sumner, le petit prince à la voix écorchée, semble toujours peu à l'aise derrière un micro sur scène comme en témoigne sa performance mitigée sur 'Who's Joe'. Sa voix reprend toutefois très vite de l'assurance, montrant même un entrain emprunt de tragique relayé par un discret chœur féminin sur les refrains de 'Guilt Is A Useless Emotion'. Après le départ de Peter Hook, c'est Tom Chapman qui est préposé à l'ossature du son depuis ''Music Complete''. Son apport n'a certes pas la maestria tranquille du barbu, mais est capable de coups d'éclat comme sur 'Plastic' où son jeu se fait organique ou lorsque sa basse sonne le glas sur 'Decades' et 'Heart And Soul'. Car New Order rejoue quatre titres de Joy Division ! Bernard Sumner n'a pas la voix profonde de son prédécesseur mais ce n'est aucunement un défaut (sauf sur 'Disorder où il n'arrive pas à crier) car celui-ci s'ouvre à nous frontalement alors que Ian Curtis se complaisait à sculpter la glace. Enfin, 'In A Lonely Place' devient une cathédrale de lumière où la voix fragile de Bernard Sumner communie fragilement avec nous.
Avec ce live fleuve, l'intérêt pour New Order en 2019 est loin de s'assécher. En parcourant les pièces les moins connues de leur discographie, les Mancuniens prouvent indirectement que leurs chansons sont identifiables entre mille et ont l'étoffe de tubes. Le Nouvel Ordre ne s'enferme pas dans un tombeau 80's. En ressuscitant ses morceaux avec une touche moderne, le groupe traverse calmement une nouvelle décennie.