Franck Carducci commence à se faire un nom dans le microcosme progressif contemporain qu'il soit français mais aussi européen. L'artiste, qui ne cesse de progresser depuis son premier (vrai-faux) album, a étendu son champ de visibilité pour atteindre les sommets avec notamment des articles élogieux dans les magazines anglais comme le prestigieux Prog. En outre, il est connu pour ses performances artistiques poussées et une bonhomie coutumière sous son célèbre chapeau.
Mais sous ce chapeau et cette joie de vivre ne se cachent-t-il pas, en grattant un peu, des craintes liées à l'évolution de l'industrie musicale qui fait et défait les artistes comme bon lui semble, ou un homme encensé un jour puis oublié le lendemain ? Quoi de mieux que la mythologie et le rock progressif pour dépeindre ces craintes liées au star system... Car Franck en tant que grand amateur de mythes va prendre pour point de départ celui d’Arion, joueur de kitharode (cithare) de la Grèce antique, l'une des premières super stars musicales, pour le transposer à notre époque actuelle. La carrière d'un musicien ou plus largement d'un artiste qui court après l'amour du public est souvent faite de hauts et de bas, d'adulation et de rejet comme le chantait Claude François dans 'Le Mal Aimé', Daniel Balavoine dans 'Le Chanteur' ou bien les Who dans 'Tommy' (sauf qu'il s'agissait là d'un joueur de flipper).
Si le concept de l'ascension et la chute d'un homme revient souvent en art, autant l'illustrer proprement et avec intérêt. Pour cela, le nouvel album de Franck Carducci s'articule autour de plusieurs titres aux atours progressifs et de compositions d'architecture purement chansons. Notre bassiste multi-instrumentiste débute son histoire par la consécration avec un '(love is) The Answer' dans lequel les chœurs incantatoires illustrent les cris des fans qui adulent l’Arion des temps modernes. Après une introduction dans laquelle le groupe utilise le didgeridoo (instrument de musique aborigène utilisé depuis l'âge de pierre), la pièce se construit progressivement avec des guitares acoustiques qui laissent leur place à de jolies nappes de claviers banksiens. Mais d'où vient le succès de cet artiste imaginaire ? Il faut un tube, un classic rock lorgnant vers le glam qui trouve sa personnification dans 'Slave To Rock'n Roll' qui rappelle les hits de Poison, Alice Cooper des années 70-80. Tout y figure jusqu'au solo de gratte qui tue, étendu pour épater la galerie sans pour autant singer le style.
Après ce départ relativement lumineux, la transition vers l'aspect plus sombre de l'histoire s'effectue avec 'Superstar' morceau-fleuve de "The Answer" tout bonnement incroyable de cohérence et d'évolution progressive dans la plus pure tradition. On retrouve dans ce titre les doutes qui gagnent peu à peu Arion (Franck) qui en devient blasé. La première phase demeure encore optimiste, puis après une partie chantée incarnée avec douceur et justesse par Mary Reynaud, le titre sombre vers plus de noirceur dans laquelle la superstar se retrouve seule face à elle-même avec un chant plus plaintif très bien interprété. Sans laisser le temps de reprendre son souffle, s'enchaine 'The After Effect' plus rythmique avec une basse mise en avant, inquiétant, au chant bicéphale presque schizophrène et parfois un peu faux comme pour accentuer ce début de perdition qui finira sur des notes au piano pour faire la transition avec 'The Game Of Life'.
Ce titre adoptant une forme plus classique piano-voix-cuivres constitue une respiration bienvenue et terriblement sensible dans laquelle Franck Carducci laisse transparaitre ses émotions, avec un peu de désabusement, devenant fataliste sur l'issue finale désormais toute proche. Les vivats des fans ont laissé place à une ambiance plus intimiste sondant les tourments de l'artiste déchu rattrapé par le temps qui défile. Cet isolement le conduira à l'Asylum' qui prend la forme d'un blues rock sublime d'une efficacité confondante avec des riffs tranchants, des chœurs féminins sublimes et des touches de claviers magnifiques. Il faut dire que pour cet album, Franck a travaillé avec nul autre que Derek Sherinian qui apporte cette touche rock à l'ambiance synthétique des compositions. A la fin du titre, les musiciens se lâchent complètement dans une ambiance totalement débridée dans lequel Franck donne toute latitude à ses musiciens pour exprimer la folie qui finit par s'emparer d'Arion.
Quelques jolis bonus viennent agrémenter la version vinyle de l'album, notamment une très belle ballade ('Beautiful Night') à la mélodie irrésistible, presque fantomatique, dans l'esprit Moody Blues. Si on peut interpréter le concept de 'The Answer" comme la personnification des sentiments de Franck sur le temps qui passe, le fait d'être artiste et son avenir, l'album laisse toutefois la porte ouverte à tout autre imaginaire. C'est un peu aussi là que réside la magie du rock progressif, celle d'une musique imagée, imaginative, vivante et brillante. Cet album contient un peu de cette magie et confirme le talent de Franck pour faire vivre ce genre qui nous est cher.