Après la parution de son premier album ''With Sympathy'' en 1983, Ministry ne pouvait que poursuivre son ascension new wave et funk, offrant de nouveaux hymnes pour nos samedis soirs désœuvrés. Le visage de son chanteur et principal maître de cérémonie, beau ténébreux associé à une voix grave imitant l'accent anglais, pouvait offrir une grande visibilité auprès de toutes les castes de la population. Mais une attirance pour la folie et le macabre (le chant psychopathe de 'Revenge' et le fétichisme du cuir dans le clip de 'Same Old Madness') auraient pu nous interpeller. Très critique envers l'enregistrement de ce premier album, Al Jourgensen claque la porte d'Arista, se sépare de ses précédents collaborateurs et finit par signer, malgré son aversion pour les maisons de disques, avec Sire Records.
Les fans du premier Ministry vont en prendre pour leur grade. Trois ans après son prédécesseur et avec l'aide du producteur Adrian Sherwood (responsable de quelques singles de Depeche Mode quasi industriels comme 'People Are People' ou collaborateur d'Einstürzende Neubauten), ''Twitch'' ne vous fera plus danser avec insouciance mais marcher au pas. Une tournée en compagnie du groupe belge Front 242 permet à Jourgensen de découvrir un nouveau style de musique : l'EBM (electronic body music, un mélange de beats répétitifs, de rythmes industriels et de claviers). Le premier titre dévoile l'artillerie. 'Just Like You' se déploie lentement de façon morbide, ponctué par ses beats en coups de fouet, ses claviers tantôt martelant tantôt excentriques et des samples de voix. Le chant de Jourgensen dégouline de fiel. Cette entrée en matière réussie trace la voie royale que vont arpenter les bottes ensanglantées d'Al Jourgensen. Le chant de Jourgensen fait son coming-out bipolaire, méphitique et glaçant sur 'We Believe' qui piège l'auditeur dans un bloc de glace et lui rappelle sans cesse son glas. Sur l'unique single de l'album 'Over The Shoulder', le frontiste ponctue d'une voix chevrotante les ambiances malsaines où les samples se multiplient comme des petits pains et les marteaux-piqueurs enchantent de leur symphonie. Tout semble joué d'avance à l'image de 'My Possession', course contre la montre perdue d'avance où chaque coup de boutoir résonne comme une guillotine.
'All Day Remix' et 'The Angel' se démarquent légèrement de leurs consœurs en offrant quelques réminiscences au précédent album, le premier étant le remix d'un single, le second grâce à quelques voix féminines réconfortantes et un rythme parfois proche de l'italo-disco. Toutefois si la métamorphose est réussie, il est regrettable que les rythmiques déjà répétitives s'étirent : il aurait parfois été de bon ton de savoir conclure prématurément. Alors qu'on aurait pu craindre de nouvelles longueurs avec 'Where You At Now’ qui culmine à plus de douze minutes, le morceau trace son sillon épique sans jamais rebuter, tout y est fluide et s'enchaîne sans heurt dans le bruit, la fureur et même l'humour (avec ses samples sur des chants traditionnels). Al Jourgensen finit par s'effacer totalement derrière le chaos sonore, comme si l'humanité devait disparaître avec lui derrière un monde en ébullition. Il n'aura pourtant eu de cesse de le vilipender de paroles incisives, désignant directement les coupables : tous types de gouvernements (qu'il considère comme des dictatures dans 'Just Like You', du monde capitaliste sur 'All Day Remix' et très paternaliste sur 'Over The Shoulder' qui apprend à l'humanité à se comporter comme son jouet).
Avec ''Twitch'', Jourgensen trouve la bande-son idoine pour exprimer ses angoisses et invectives contre un monde trop inégalitaire. A la manière d'une chenille sanglante sortie d'une chrysalide new wave, Ministry progresse à vive allure avant de prendre définitivement son envol metal indus.