Après la tournée éreintante de promotion de l'album "Human Collapse" de Los Disidentes Del Sucio Motel, son chanteur Nico a trouvé sage de se mettre au vert, alors qu'à la manière d'un Ian Anderson il avait conservé quelques reliques de ses promenades en solitaire sur sa guitare acoustique. Ces créations reléguées dans un tiroir méritaient d'être assemblées et de trouver leur existence propre. Très rapidement, il convainc son copain Tibal de le rejoindre dans cette aventure. Mais au moment de composer les paroles, une autre idée germe : plutôt que de tout interpréter lui-même, pourquoi ne pas demander un coup de main à droite et à gauche ?
''Sapiens'' contient 10 morceaux pour autant d'interprètes. Le duo est allé à la chasse aux voix, une chasse assez fructueuse puisque l'on peut croiser sur cet album des figures familières du rock et du metal : Julien Pras (Mars Red Sky), l'incontournable Julien Cassarino (Psykup) ou encore Steve Perreux (Robot Orchestra). A première vue, cette polyphonie de voix pourrait court-circuiter l'auditeur qui ne pourra se raccrocher à une unité vocale. Pourtant chacun vient apporter ses émotions, dévoile ses cicatrices et sa quête de lumière. Chaque voix représente un instant "T" d'une vie humaine. La voix un peu engourdie de Poun au début de 'Still Down' finit par exploser, comme un adolescent en crise qui finit par tout envoyer bazarder et accepte de grandir. L'ultime piste 'Le Feu Qui Danse' dévoile le bout du chemin avec la voix de patriarche de Reuno (Lofofora) comme si l'on se penchait avec nostalgie sur ses jeunes et insouciantes années. Toutefois pour éviter d'être sentencieux, Sapiens sait aussi lâcher du lest comme sur 'C'est Gênant', un amalgame de folk, de blues avec un texte un peu fou (mais tombant parfois dans la facilité) et quelques growls. Si l'anglais est majoritairement privilégié, les deux précédentes pistes évoquées sont pourtant en français.
Décidé à suivre une partition acoustique mélancolique ('Palm Prints' est à ce sujet un diamant noir de nostalgie), Sapiens tombe quelquefois dans la redite où certaines chansons ressemblent aux précédentes. Pour autant, ce sentiment est bien minoritaire sur ce disque. Qui dit folk acoustique ne dit pas forcément minimalisme et se pencher sur les œuvres de Roy Harper ne serait pas de trop. Sapiens finit assez souvent par nous surprendre et retomber sur ses jambes. ‘Pure Love Ashes' est une tempête rythmique, un laboratoire sonore, comme si notre duo avait mélangé un peu de folk de différentes origines à grands renforts de cuivres. 'Cognitive Dissonance' semble jouer l'épure, susurrer à l'oreille de l'auditeur avant de décoller joyeusement tandis que les violons apportent à
nouveau un peu de charme. Car c'est bien là la morale de l'histoire, la mélancolie n'est pas un état permanent dans lequel un sujet s'enferme, mais une transition vers un nouvel envol.
Sapiens réussit son défi : nous inviter à un voyage mélancolique et revivifiant à la fois. La présence de nombreux invités n'empêche nullement l'unité du projet, qui peut être ressentie à différents niveaux. La musique nous permet de retrouver le chaînon manquant entre toutes ces voix
émanant des limbes et qui finissent par former notre Homo Sapiens. On pourra toutefois déplorer l'absence de voix féminines mais peut-être que dans le cerveau de Nicolas trotte l'idée d'un "Sapiens 2"...