Mieux vaut tard que jamais. C'est un peu ce que nous nous sommes dit chez Music Waves en découvrant Birdeatsbaby… avec dix ans de retard. Ce groupe originaire de Brighton est né de la collaboration de la rousse Mishkin Fitzgerald et de Garry Mitchell qui se sont rencontrés durant leurs études dans la première décennie du XXIème siècle. Un premier album, "Here She Comes-a-tumblin" paraît en 2009, suivi de "Feast of Hammers" (2012), "The Bullet Within" (2014) et "Tanta Furia" (2016). "The World Conspires" qui nous sert de porte d'entrée à l'univers des Anglais est donc déjà leur cinquième opus. Et, autant le dire tout de suite, il s'agit là d'une belle découverte tant celui-ci s'avère riche et inventif.
Car si Birdeatsbaby a débuté sa carrière avec l'étiquette dark progressive rock apposée sur sa musique, une appellation dûment justifiée à l'écoute de ses trois premiers albums, son style prend un virage plus électrique et symphonique avec "Tanta Furia" : les compositions s'étoffent d'arrangements complexes, les premières saturations se font jour, la musique délaisse son côté cabaret pour prendre une tournure plus rock avec une guitare plus présente qu'aux débuts. "The World Conspires" enfonce encore le clou de ces belles dispositions.
L'album est long et dense : pas moins de 15 titres pour une durée avoisinant les 70 minutes constituent le copieux menu qui attend l'auditeur. C'est d'ailleurs, commençons par les points négatifs, l'un des reproches qui peut être adressé à "The World Conspires". Les mélodies souvent changeantes, les arrangements sophistiqués, les différents styles musicaux abordés créent une complexité qui nécessite plusieurs écoutes attentives pour apprivoiser l'objet, et le trop-plein de titres peut confiner à un certain écœurement. Non pas que le disque contienne quelques titres faibles, même pas ! Toutes les compositions sont dignes d'intérêt et il n'y a pas ici de remplissage, le groupe est juste trop généreux et aurait dû garder sous le coude certaines de ses chansons pour un futur album.
Mais il s'agit là, admettons-le, d'un "problème de petite fille riche". Car comment ne pas être séduit par la créativité de ce groupe qui mélange avec le même bonheur rock gothique, rock alternatif, pop, steampunk, en faisant un clin d'œil au cabaret d'entre-deux-guerres ('Ropes') et à la musique classique (l'élégiaque 'Dido's Lament' emprunté à Henry Purcell), en y mélangeant quelques touches de metal (l'agressif 'Painkiller') et même un soupçon de death metal (le final de 'Bad Blood') ? Au service de ces mélodies, un instrumentarium impressionnant où les guitares saturées de Garry Mitchell et les batteries parfois déchaînées de Pablo Paracchino et Anna Mylee côtoient le violon et le violoncelle d'Hana Maria, un saxophone, une clarinette, une contrebasse jazzy et même quelques points de dentelle d'une harpe ('Esmerelda').
Quant au chant de Mishkin Fitzgerald, il évoque tour à tour la mélancolie d'une Sonja Kraushofer (L'Ame Immortelle, Persephone), la démesure d'un Matthew Bellamy (Muse) et l'extravagance mutine et délurée d'une Kate Bush. Tour à tour désespérée, passionnée, hystérique, inquiétante, la voix de la chanteuse se transforme à volonté, aussi crédible dans la douceur que dans la démonstration de force.
"The World Conspires" est un album qui nécessitera de nombreuses écoutes pour débusquer tous ses mystères mais qui séduit cependant dès la première écoute par l'atmosphère envoûtante qui s'en dégage. Peut-être trop généreux tant il est dense et long, mais très contrasté avec de nombreux changements de rythmes, d'atmosphères, un chant très travaillé et pléthore d'arrangements, "The World Conspires" déroule un rock alternatif d'une grande qualité.