Formé en 1988 dans la dame de Fer de Pittsburgh, les Pennsylvaniens d'Anti-Flag ne cessent de rappeler que le punk ne saurait être limité à quelques slogans marketing pour adolescents (Offspring, Green Day), qu'il s'agit d'un véritable combat politique mené avant eux par The Clash ou The Dead Kennedys. Brûlot après brûlot, cette rage ne s'est pas tarie et les incendiaires d’étendards ont même tenté quelques enrichissantes aventures (la dernière en date était la transmutation de leur répertoire punk en acoustique).
Douzième album studio, ''20/20 Vision'' ne saurait être l'album de l'apaisement. L'heure est toujours à la lutte et sans surprise aucune, le président américain est la cible de tout projectile verbal. Le titre de l'opus semble refuser le compromis de l'autruche, adopté par une multitude de pays occidentaux, en dévoilant le diagnostic de leur opticien traitant : les deux yeux sont bien ouverts sur notre monde. En en jetant un sur la liste des titres de cet album-concept (mais tous les albums de ce groupe ont pour concept commun la colère), les slogans s'accumulent livrant clairement leurs griefs : 'Hate Conquers All', 'Christian Nationalist', 'Un-American', 'A Nation Sleeps'. La voix du président américain a même le privilège de lancer l'écoute avec une phrase - isolée de son contexte - qui réclame plus de retenue contre des éléments perturbateurs. Sans entrer dans un débat politique qui n'aurait lieu d'être ici et sans aller jusqu'à conduire une défense hardie de Donald Trump (dans ce monde consensuel, serait-ce finalement une preuve de courage ?), le discours de nos Anti-Flag ne se distinguent guère du tout-venant. Comment dit-on tirer sur l'ambulance en anglais ?
Voir en ''20/20 Vision'' la bande originale d'Amnesty International serait toutefois une erreur. Si l'impact des slogans politiques est aussi anxiogène qu'un pistolet à eau, il nous reste toutefois l'essentiel : la musique. Si le pays est endormi, il faut le réveiller et 'Hate Conquers All' mise sur une plus grande lourdeur hardcore avec un riff de guitare infernal et une voix hurlante. Si la haine est un virus, nul doute qu'Anti-Flag l'a contracté et souhaite généreusement nous le transmettre. Les autres morceaux déboulent à vive allure mais sans reprendre l'esprit noir de ce brûlot. A l'inverse de Montastruc, Anti-Flag retrouve une énergie plus punk non dépourvu de séductions. Le refrain fédérateur du très à charge 'Christian Nationalist', We Are Now Who You Are, risque de galoper dans votre tête. Le très mélodique 'Unbreakable' met en avant un solo de guitare ravageur comme pour prouver qu'Anti-Flag n'a peur de personne. 'Un-American', belle ballade avec un refrain fédérateur, réjouira par son esthétique de contre-pied : quoi de mieux qu'une chanson d'amour pour relater un désamour ?
Si les textes sont une énième redite de groupe engagé, Anti-Flag n'a pourtant pas lésiné sur la musique. En une trentaine de minutes, les Américains dévoilent des exercices de séduction, tantôt mélodiques et caressants, tantôt chaotiques et noirs. Si musique et politique ne font pas bon mélange, Anti-Flag réussit toutefois à trouver une alchimie qui n'est pas qu'un accompagnement de texte mais une véritable mise en son de toutes leurs colères et frustrations sans pour autant sauter la case "ironie".