La scène metal prog française est d’une vitalité remarquable. 2019 a été un excellent cru pour les groupes français évoluant dans le genre, et 2020 commence tout aussi bien avec le deuxième album de Mobius, "Kala".
Né sur l’île de La Réunion en 2012, Mobius pose rapidement ses valises à Lyon, intègre de nouveaux membres et sort son premier album en 2016, "The Line". Un premier essai réussi montrant un groupe au fort potentiel sachant marier les styles, entre metal progressif, metal symphonique et musiques du monde. Trois ans plus tard, le metal symphonique a pratiquement disparu de la musique de Mobius. Mais sa personnalité, elle, s’est particulièrement affirmée. A tel point que "Kala" est sans aucun doute l’album le plus original et le plus intéressant de ce début d’année.
Pourtant, le défi de conjuguer metal moderne aux inspirations djent et sonorités indiennes et asiatiques n’est pas des plus faciles à relever. Mais Mobius s’en sort haut la main. D’abord grâce à des compositions progressives et inventives construites autour d’un sens rythmique redoutable, faisant la part belle aux riffs syncopés des guitares et à un travail énorme de la basse (‘Abhinivesha’). Ensuite grâce à des textes ésotériques en anglais et en sanskrit qui ajoutent une spiritualité occulte au mysticisme de la musique de Mobius. Cette propension à l’ésotérisme est sublimée par la voix délicate d’Heli Andrea qui allie légèreté et puissance et n’hésite pas à moduler ses inflexions jusqu’à devenir parfois incantatoire, rappelant par certains aspects les travaux de Magma avec lequel Mobius possède de nombreux points communs (‘Sharira’, ‘M’).
L’album est ponctué par de courts instrumentaux intrigants baptisés ‘A’, ‘U’ et ‘M’ qui, outre la référence au célèbre "Om" ou "Aum" hindouiste définissant le son originel, permettent la respiration nécessaire pour appréhender la richesse des titres principaux. Et de ce point de vue, "Kala" ne souffre d’aucune faiblesse et mélange avec subtilité des influences musicales ancestrales à un metal progressif très moderne (‘Akasha’). Malgré une musique très technique, Mobius nous entraine sans effort dans son univers singulier, alternant rythmiques djent (‘Mukti’) et cadences tribales (‘Abhinivesha’, ‘U’), riffs énormes et claviers aériens (‘Akasha’, 'Bhati'), solos de guitare jazzy et basse slappée (Abhinivesha’), tout en parsemant chaque titre des sonorités indiennes et orientales qui font toute l’originalité et la richesse de son discours musical.
Construit comme une lente progression de l’ombre vers la lumière, l’album illustre le cycle de la vie, débutant par le sombre ‘Abhinivesha’ traitant de la mort et de la disparition et se terminant par le miracle de la naissance (le magnifique ‘Bhati’) et une offrande instrumentale au Dieu hindou du feu et de la lumière (‘Agni’). Si la thématique peut paraître obscure au premier abord, elle correspond en tout point à la richesse de la musique de Mobius. Et toute la force et l’originalité de "Kala" réside dans la cohérence et la sincérité de son propos musical.
A n’en pas douter, Mobius vient d’entrer dans la cour des grands de la scène metal prog hexagonale et mérite largement de franchir nos frontières. Ce n’est qu’une histoire de temps. Et le temps se dit "Kala" en sanskrit.