De toutes les formations qui coulent le chant d'une prêtresse dans le creuset d'un doom brûlant de couleurs psychédéliques, Lucifer demeure l'une des plus excitantes. Parce que son âme est nichée entre les seins de Johanna Sadonis, beauté blonde aux allures de déesse inaccessible capable à elle seule de brûler les sillons des disques sur lesquels elle pose sa voix aussi séduisante que vénéneuse. Parce que la belle sait s'entourer. Après s'être associée à quelques figures de la scène doom british et notamment, excusez du peu, l'ex-guitariste de Cathedral, Gaz Jennings, elle a été rejointe depuis le deuxième album par Martin Nordin (Dead Lord) et surtout le légendaire ancien batteur d'Entombed, Nicke Andersson qu'elle a d'ailleurs épousé !
Parce que Lucifer ne fait pas que claironner son amour pour le hard rock d'autrefois, il est un vrai groupe à l'ancienne, autant dans la forme que dans le fond. La forme, ce sont des rondelles simplement numérotées, comme le faisait Led Zep en son temps par exemple, taillées pour le vinyle avec des durées qui n'excèdent jamais les quarante minutes. Dans le fond, un doom rock chatoyant et velouté qu'enveloppe un son authentique au grain idéalement façonné se déverse avec un sens imparable de la mélodie, sombrement sensuelle. On tient d'ailleurs là la dernière raison qui explique pourquoi Lucifer trône largement au-dessus du niveau de la mer, par cette écriture qui fait mouche, acérée et suave, groovy et néanmoins ténébreuse dont cette troisième obole est le délicieux concentré.
Neuf pistes s'enchaînent, toutes plus irrésistibles les unes que les autres, riches de multiples nuances. 'Midnight Phantom' et ses notes de clavecin finales, 'Leather Demon', mid-tempo moelleux, 'Pacific Blues' et ses courbes généreuses ou 'Cemetary Eyes', longue échappée toute en progression sur laquelle plane l'ombre d'un Blue Öyster Cult, jalonnent ainsi ce menu qui témoigne qu'avec le recrutement de Nicke Andersson, ses géniteurs ont trouvé et fixé leur signature, graisseuse et obsédante, colorée d'une légère touche sleazy.
Aux griffures furieusement rock'n'roll (l'inaugural 'Ghosts'), Lucifer privilégie les coups de reins, remuants ('Flanked By Snakes') ou plus vicieux ('Coffin Fever'), mais qui dégorgent tous de riffs juteux et de lignes de basse au galbe grassouillet. Avec toujours, lovée au centre de cette couche aux tentures victoriennes, la belle Johanna dont la voix gainée de cuir paraît être extraite d'une antique pellicule horrifique. Elle nous entraîne, mystérieuse et lascive, dans les corridors d'une demeure ténébreuse dont les murs tapissés de tentures inquiétantes se referment peu à peu sur nous.
Ce troisième album confirme tout le bien que nous pensons de Lucifer, grâce auquel il continue de polir son identité dont le sombre romantisme s'accouple à une énergie capiteuse.