"Crystal City" déploie fièrement ses formes architecturales dont l'éclat cristallin se reflète sous les rayons de lune. Mais au pied de ces géants de verre se révèle un marécage fangeux peuplé d'une faune pour le moins interlope. Là, tout n'est que désordre, laideur, vice, bruits et jouissances à la carte. Comme son collègue Shaârghot avec qui il a tourné, le jeune Rosenkreuz nous propose une visite guidée de cet enfer urbain pour son premier album studio.
Rosenkreuz, déformation volontaire du patronyme d'un personnage d'Hamlet ou plus directement hommage au fondateur de la société secrète des Rose-Croix, nous n'en saurons peut-être pas plus. Ce qui est certain, c'est qu'en 2017, le groupe français avait livré un galop d'essai, un EP ''Infinite'', qui révélait déjà un univers sonore et une tentation conceptuelle que nous retrouvons sur ce présent album. La bande-son de ce voyage à ''Crystal City'' se révèle sombre, lourde, œuvrant dans un metal industriel teinté de gothique. Les cartes sont abattues dès l'entrée de jeu. 'The Antisocial Manifesto' se déploie comme un hymne et nous présente les différentes facettes de Rosenkreuz : le chant growl est agressif mais sait se montrer parfois enjôleur, les guitares sont agitées mais l'énergie bouillonnante rencontre des moments de flottement. Rozenkreuz trouve ainsi un équilibre entre calme et fureur. Si le morceau éponyme 'Crystal City' est un monstre rampant avec sa voix visqueuse à souhait et l'atmosphère asphyxiante, la chanson succède toutefois à une ballade lumineuse, 'She's Lost'. Avec son solo de guitare périlleux et ses claviers très Nine Inch Nails première période, 'Lucretia' ajoute un nouvel atout de séduction gothique avec une voix féminine qui tempère l'ardeur explosive.
Le chant dont l'intonation rappelle parfois Till Lindemann est tout aussi théâtralisé et semble apporter une distance ironique avec le contenu thématique. Le groupe use d'artifices verbaux adéquats pour se lover dans la nasse (allant parfois jusqu'à la pornographie sur 'Die'). Les thèmes des chansons sont très glauques (critique du business, massacre industriel, guide du dragueur cynique ou de la parfaite pourriture). Le point faible de l'album réside peut-être dans cette surenchère de mauvais goût et de vulgarité mais comme l'a dit le poète, il faut savoir se perdre pour se retrouver. Si l'objectif de Rosenkreuz est de tendre un miroir à la face la plus repoussante de notre monde, on n'accusera pas le miroir d'être laid. Enfin 'This Is Is War' qui clôt l'album se complait dans un massacre généralisé (avec un slogan singeant le 'No Future' des Sex Pistols) et encadré, annonçant peut-être une suite plus monstrueuse.
Avec son premier album, Rosenkreuz s'affiche comme un petit frère de Porn et Shaârghot, déployant autour d'une musique sombre un univers thématique élaboré. L'esthétique repose sur un équilibre savant entre couleurs chatoyantes et ténèbres. Les riffs sont acérés, le growl nous invective mais les mélodies sont entraînantes et le groupe surprend toujours en abattant une carte dont on n'aurait pu anticiper la couleur.