Ecouter un album d’Igorrr, c’est un peu comme monter sur la grande roue à la fête foraine. Les émotions contradictoires nous envahissent. La crainte, l’excitation, la surprise, l’allégresse, tout se mélange entre nos oreilles. Gautier Serre, l’homme derrière le projet Igorrr, est un forain de la musique, au sens premier du terme, un musicien en dehors des styles, des chapelles et des étiquettes. "Spirituality And Distortion" a beau être son sixième album, l’expérience est toujours aussi intense. Certains crient au génie, d’autres le qualifient de bricoleur un peu allumé. Gautier Serre n’est ni l’un ni l’autre. Il est avant tout un musicien épris de liberté, qui s’amuse comme un petit fou dans son studio-laboratoire, le fils spirituel de Devin Townsend, Mike Patton, Ihsahn et Aphex Twin.
Alors bien sûr, qui dit fête foraine dit foire. Et qui dit foire dit joyeux bazar. Il faut bien avouer que certains titres relèvent du délire complet : le metal musette de ‘Musette Maximum’ où l’accordéon est noyé sous les blasts de la batterie, le death indus de ‘Paranoid Bulldozer Italiano’ où les riffs sauvages se mêlent aux sons electro sous un déluge de double pédale. Et pourtant, tout semble malgré tout cohérent, parce que sous ses airs de touche-à-tout déjanté, Igorrr ne transige pas avec sa personnalité musicale et sa folie débridée.
Ceux qui connaissent les albums précédents ne seront pas dépaysés avec "Spirituality And Distortion". Tous les ingrédients de la cuisine musicale d’Igorrr sont utilisés pour une orgie de contrastes et d’alliances improbables entre musique orientale et metal extrême (‘Downgrade Desert’, ‘Overweight Poesy’, ‘Himalaya Massive Ritual’), musique baroque et death metal (‘Nervous Waltz’, ‘Barocco Satani’), rock electro atmosphérique et dissonances (‘Lost In Introspection’), death metal et sons 8-bit (‘Parpaing’), groove funk et musique des Balkans (‘Kung-Fu Chèvre’). Igorrr utilise une quantité impressionnante d’instruments différents pour donner corps à son délire créatif et sait comme toujours jouer des contrastes vocaux, mélangeant allègrement chants saturés (le chant growl de George Fischer de Cannibal Corpse sur le bien nommé ‘Parpaing’) et chants féminins parfois opératiques (‘Barocco Satani’) et parfois vraiment fascinants par leur ressemblance avec Bjork (‘Hollow Tree’, ‘Overweight Poesy’).
Pour qui aime l’originalité, la folie maîtrisée et la liberté artistique au-delà des frontières musicales, "Spirituality And Distortion" est presque un sans-faute. A peine peut-on lui reprocher sa longueur et certains titres moins inspirés (‘Polyphonic Rust’) dans ce déluge d’éclectisme et de savoir-faire. En tout cas, vous sortirez de l’écoute de cet album chamboulé, comme après un tour de grande roue à la fête foraine.