Pour son septième album, Long Distance Calling a voulu poser une question existentielle et diablement contemporaine : comment voulons-nous vivre ? Alors que l'on pourrait imaginer que la question est posée pour stigmatiser notre rapport à la Terre et à la nature, c'est plus du côté humain que les Allemands nous la posent : est-ce que notre rapport aux machines, la course technologique permanente et le déséquilibre entre les découvertes scientifiques et leur utilisation humanitaire mènent notre civilisation à sa perte ?
Pas simple de répondre à la question avec une musique presque exclusivement instrumentale (un seul titre chanté 'Beyond Your Limits' qui brille plus par son solo et son break sans parole que par ses couplets et refrains). Voyons comment l'inventif quatuor allemand s'en sort. L'utilisation de samples et d'effets narratifs est une technique que LDC a déjà expérimenté dans le même type de concepts et il la reconduit d'entrée pour poser les premières pierres du débat sur le diptyque 'Curiosity'. L'ombre de Vangelis et de "Blade Runner" plane sur cette introduction futuriste. L'arrivée rapide du heavy post rock reconnaissable de LDC lance le titre mais il est vite teinté d'un prog floydien à mi-chemin entre 'One Of These Days' et 'Confortable Numb'.
Les thèmes musicaux se succèdent avec une grande fluidité, comme à l'accoutumée, alternant les riffs heavy, les solos aériens, les arpèges délicats ou les lentes progressions hypnotiques. C'est là tout l'art des Allemands de proposer une grande variété en conservant un liant entre les thèmes et les morceaux. 'Hazard' propose par exemple une pop légère entre Muse et The Police avec pas moins de sept thèmes différents et un solo d'une grande force mélodique et épique, le tout animé par une fluidité exceptionnelle. Même constat sur 'Voices' paraissant tout droit sorti du "Tron Legacy" de Joseph Kosinski (2010) et empruntant ses sonorités exotiques à la world music avant que les guitares ne posent un riff entêtant et hypnotique évoluant à chaque couple de mesures vers un nouveau développement encore plus passionnant que le précédent.
Les amoureux de la six-cordes en auront pour leur argent. Nous avons compté pas moins de 30 sonorités différentes de guitares sur l'album, une variété qui emprunte au prog ses codes de composition les plus riches et que le groupe s’attelle à enchaîner avec une évidence aussi naturelle qu'insolente. Les nombreuses écoutes révéleront nombre d'arrangements subtils à chaque nouveau passage. Potentiel bémol, 'Fail : Opportunity' pourrait rebuter les allergiques à la mode du violoncelle façon Game Of Throne, alors que les fans adoreront. Un mot enfin sur le closer 'Ashes', sorte de trip hop hypnotique et lancinant dont l'intro reprend la tirade de Hugo Weaving (a.k.a Agent Smith) lors de l'interrogatoire de Morpheus dans Matrix, 'You are the plague and we are the cure', qui achève de plonger l'auditeur dans le doute sur la réponse à donner à la question initiale.
How Do We Want To Live ? Le génie des Allemands est de laisser l'auditeur répondre lui-même à cette question rhétorique en lui donnant quelques pistes de réflexion. L'immersion dans un univers imprégné du concept est une prouesse que le groupe maîtrise et magnifie sur cet opus. Clins d'œil au cinéma SF, apports électro et ambiances futuristes sont distillés pour plonger l'auditeur dans leur monde et le pousser à s'interroger et tenter d'y répondre. L'album est d'une richesse de composition et d'arrangements hors normes qui promet un plaisir d'écoute permanent. Quand Long Distance Calling maîtrise son sujet, il corse l'épreuve et relève le défi haut la main, encore !