Imperial Triumphant, groupe protéiforme aux multiples visages, est né dans un berceau black, puis a grandi, changé de peau pour offrir sa vision avant-gardiste d’un death / black. Son premier album, “Abominamentvm”, a été bien accueilli alors que le deuxième (“Abyssal Gods”) a moins étonné. Il y a deux ans il a publié “Vile Luxury” à la musique plus aventureuse et résolument exploratoire. Son nouveau disque “Alphaville”, avec une pochette qui évoque un style désuet, une esthétique belle époque post-moderne née des visions futuristes de “Metropolis”, est un feu d’artifice sensoriel qui éclate dans toutes les directions.
Les sonorités sont âpres, les titres dissonants dignes de Cloak Of Altering sont auréolés de pointes de jazz intimistes. L’album est une plongée dans un espace parallèle, entre Igor Stravinsky ou Bernd Alois Zimmermann, pour lequel le ressenti est plus important que la mélodie.
Une cloche nous appelle, une guitare cisaille le silence, des dissonances éclatent dans l’introduction de 'Rotted Futures'. La musique y est déstructurée et la voix caverneuse enrobée de vibrations synthétiques. Les sonorités sont étouffantes mais superbement attirantes grâce à des harmonies venues d’une autre planète. La lourdeur est distillée religieusement, soutenue par des chœurs et la note suspendue d’un orgue immaculé. ‘Alphaville’ expose des dissonances et une structure non cartésienne aux effets synthétiques. Mais tout change lorsqu'un chœur grandiloquent, presque mystique, annonce comme la fin d’une symphonie macabre aux cordes repoussantes. ‘Excelsior’ débute par un rythme intense et une basse volubile, la batterie impose un rythme pesant alors que les riffs sont nerveux. La composition oscille entre nervosité et contemplation aux sonorités noires. ‘Experiment’ est une reprise de Voivod, groupe à la démarche parallèle et au chemin similaire. Imperial Triumphant y apporte son étrangeté, sa lourdeur cadavérique et sa patte musicale déstructurée.
‘Atomic Age’ débute par un chant a cappella, le rythme est ensuite martial avec la guitare et la batterie qui martèlent un mid-tempo écrasant. Un passage aérien, étrangement malsain, brise la piste, mais il est vite effacé par un passage black aux cris inhumains, tendrement apaisés ensuite par une douce et chaude voix.
‘City Swine’ écrase le tempo submergé de vibrations sourdes et de bruits synthétiques. La mélodie de guitare est étrange, la voix entre cris perçants black, vocalises profondes old school et chant maquillé d’effets sonores. Enfin ‘Transmission To Mercury’ démarre avec un piano jazz, à la manière d’une soirée soyeuse parsemée de fines gouttes d’espoir. L’ambiance est d'abord proche des films noirs américains ou de "Dark City", puis réveille et fait gronder le grand Ancien alangui : guitare ténébreuse, batterie implacable et voix démoniaque.
Avec ses impressions cinématographiques et son mélange étonnant, “Alphaville” est un roman graphique en cinémascope, effrayant et troublant. L’album entre black, death, musique symphonique, passages électro et jazz soyeux est un OVNI qui ne laisse pas indifférent. Le disque aux éléments non miscibles et d’une beauté troublante, dégage une grande solidité. Néanmoins, il faut le conseiller à un public averti, prévenu que sa musique suit ses propres règles et nécessite un effort conséquent pour apprécier ces visions musicales. Imperial Triumphant modèle une nouvelle musique à forte identité, entre douleur, colère et sensualité.