Il arrive parfois que l'habit fasse (presque) le moine. Prenez par exemple la pochette de "Weltklang". Avec ces musiciens torse-nu qui, plantés de dos dans un sol rocailleux au milieu de leurs instruments posés à même le sol, semblent fixer l'horizon, ce visuel ne manquera pas d'évoquer Pink Floyd et le "Live At Pompéi" dont les images irréelles demeurent ancrées à tout jamais dans notre inconscient. Sans surprise, Polis rejoint ainsi ces voyageurs dans le temps, restés bloqués dans les années 70. Même esthétique donc, même sonorités moelleuses échappées d'un orgue Hammond préhistorique et surtout un souffle de liberté identique. Encore une fois, le mimétisme est tel qu'on croirait réellement, à l'écoute de cet album, avoir déterré une rondelle oubliée à laquelle une datation au carbone 14 attribuera au moins quarante ans d'âge !
Polis n'a pourtant vu le jour qu'en 2010 et "Weltklang" n'est que son troisième effort ! Celui-ci pourrait n'être qu'un trip vintage de plus à une époque où les groupes nostalgiques revisitant le travail de leurs aînés se comptent par palettes entières mais il n'en est rien. A cela, deux raisons. La première tient déjà dans le caractère plus trapu que délié d'une partition qui ne se prend jamais les pieds dans le tapis. Comprendre que le quintet laisse à d'autres les architectures compliquées et les tubulures démesurées. Bref, ceux qui, ferrés par son esthétique et son inspiration seventies, pensaient sucer dans cet opus du pur jus progressif peuvent passer leur chemin, même si les teintes spatiales qui nimbent le court 'Gebet' et l'élan genesissien qui emporte le lumineux 'Steib Herab' ne seraient pas pour leur déplaire.
Les années 70 sont certes bien là, les bons vieux synthétiseurs à l'enrobage duveteux également, mais les racines (hard) rock des Teutons font plus qu'affleurer à la surface de ce "Weltklang" plus brut que nébuleux, à l'image de 'Tropfen' dont les claviers prog se mêlent à une croûte rythmique terreuse. La seconde raison réside dans le chant en allemand qui confère de facto une dimension plus dure sinon gutturale à l'ensemble. Ce qui est particulièrement évident sur les titres les plus tranquilles tels que 'Eine Liebe, Tausend Leben' ou l'épuré 'Abendlied'. Le choix de recourir à la langue de Goethe pourra décontenancer, pourtant il colle finalement plutôt bien à cette musique d'un autre temps. Mieux, cela participe d'une certaine dureté qui plante Polis dans la roche du hard rock.
Ajoutons à cela une expression néanmoins pulsative qui prend toute sa démesure lors du terminal 'Mantra', saillie tribale et hypnotique du plus bel effet, incontestable point G de l'écoute avec ces percussions trippantes qui s'accouplent à des nappes d'orgue fantomatiques, et vous aurez alors une image assez nette de ce que renferme "Weltklang".
A la croisée du hard, du prog et du blues rock, Polis signe tout simplement un des meilleurs trips vintage de l'année 2020 ! Tout y est : les compos, le feeling, l'énergie, la classe. De quoi nous donner envie de (re)découvrir au plus vite "Eins" et "Sein", premières pierres d'un édifice qui s'annonce véritablement jouissif.