La première fois qu’il entend Jon Gomm, un mélomane se dit : "c’est vraiment très beau". Si ce mélomane est guitariste, il ajoute : "mais comment joue-t-il ça, il est vraiment tout seul ?" Et si le mélomane est guitariste et connait l’histoire de la guitare, il ne peut pas ignorer la filiation stylistique entre Jon Gomm et Mickael Hedges, sans doute le meilleur guitariste acoustique des années 80. En 1984, les mélomanes et les guitaristes dirent la même chose lorsque Mickael Hedges sortit son album "Aerial Boundaries". A l’époque, personne ne comprit vraiment la musique de Mickael et beaucoup la classèrent sous l’horrible étiquette new-age. Jon Gomm, lui, l’a comprise, l’a étudiée et a même poussé son approche musicale encore plus loin en ajoutant son chant doux et apaisant à son jeu de guitare exceptionnel, pour composer des chansons d’un autre monde, son monde à lui, dont il nous ouvre les portes avec son magnifique quatrième album, "The Faintest Idea".
"The Faintest Idea" est un tour de force à plus d’un titre. D’abord parce que très peu de guitaristes sont capables d’allier aussi bien la technique et l’émotion pure. Ensuite parce que Jon Gomm remplit tout l’espace sonore avec seulement sa voix et sa guitare acoustique, et parfois quelques nappes discrètes de clavier (‘Dream Factories’, ‘The Ghost Inside You’). Enfin et surtout parce que, pour se rendre compte réellement de l’originalité du jeu de guitare de Jon Gomm et de sa technique hors du commun, il faut idéalement le voir jouer. L’Anglais est un orchestre à lui tout seul. Il a poussé l’étude de la guitare percussive tellement loin que le voir jouer est une expérience aussi impressionnante qu’immersive. Son jeu de guitare est une merveille de créativité et de coordination. Son tapping à deux mains, sa manière de jouer avec les harmoniques, sa façon si particulière de désaccorder sa guitare tout en jouant, ses accords augmentés arpégés avec les deux mains, sa capacité à créer des motifs rythmiques en frappant le corps de sa guitare sont autant de prouesses techniques qui défient toutes les règles guitaristiques.
Alors comment fait-on quand on a le son mais pas l’image ? Eh bien, il suffit de fermer les yeux, d’ouvrir grand ses oreilles et de se laisser bercer par les mélodies et l’émotion qui se dégagent des onze titres qui illuminent "The Faintest Idea". Il suffit de se laisser porter par l’incroyable chaleur humaine des magnifiques ‘Cocoon’ et ‘Tempest’, par la voix douce et habitée de Jon Gomm et ses refrains pop ciselés (‘Dream Factories’, ‘Until The Sun Destroys The Earth’), par les arpèges percussifs de ‘Swallow You Whole’, par les mélodies envoûtantes de ‘Deep Sea Fishes’ et de ‘Song For A Rainy Day’, par les expérimentations de ‘Universal Biology’ et son flamenco déstructuré.
Oui, même sans l’image, "The Faintest Idea" est un vrai bijou de sensibilité et d’honnêteté, un voyage intime où la prouesse technique est au service du discours musical, où chaque chanson fait sens, où chaque inflexion stylistique est pensée pour atteindre ce fameux Graal dont rêvent tant de guitaristes : mettre la technique au service de l’émotion. Les albums de ce calibre sont tellement rares, ne passez pas à côté, même si vous n’êtes pas guitariste et même si habituellement vous n’écoutez que des guitares saturées. Vous verrez, il se pourrait que cet album figure tout en haut de votre classement de l’année.