ENSLAVED: Utgard (METAL PROGRESSIF,Black Metal) : avis / chronique à lire sur Music Waves

"E" a incarné un jalon supplémentaire dans le façonnement de l’identité plurielle d’Enslaved mais il a aussi été un album charnière entre deux renouvellements de musiciens, l’arrivée de Håkon Vinje aux claviers en amont et celle du batteur Iver Sandøy juste après. En cette fin de décennie, c’est avec l’esprit en partie tourné vers les origines du groupe, avec l’anniversaire des vingt-cinq ans de "Vikingligr Veldi" et "Frost", que les Scandinaves ont abordé l’écriture de leur quinzième album.

"Utgard" est une réponse à ceux qui trouvaient qu’Enslaved avait tendance à ronronner ou délayer son propos ces dernières années. Album à la fois classique de la signature des Norvégiens et surprenant sur certains points, il poursuit la démarche de renouvellement coutumière d’Enslaved. Les fondamentaux sont là mais sous une forme plus ramassée que d’habitude et avec une cadence qui laisse peu de place à l’oisiveté : plongées dans les forges de l’enfer à un rythme effréné (le polyrythmique ‘Storms of Utgard’) avec son armada de riffs hypnotiques (‘Homebound’), percées progressives 70’s (‘Jettegryta’) et tournures plus heavy aux tonalités psychédéliques ou expérimentales (le passage instrumental bouillonnant de ‘Sequence’). Enslaved berce le tout de mythologie nordique (la célébration païenne inaugurale de ‘Fires In The Dark’) et d’éléments narratifs ponctuels (‘Utgarđr’, ‘Flight of Thought and Memory’).

En prenant le poste de batteur, Iver Sandøy, déjà choriste et co-producteur sur les dernières réalisations du groupe, apporte avec lui ses talents de chanteur au point que Håkon Vinje et lui se partagent ici l’ensemble des voix claires. Leur contribution est un bienfait manifeste dans ce domaine de plus en plus investi par le groupe. L’ampleur s’en ressent dans les chœurs de ‘Flight of Thought and Memory’ ou ‘Fires In The Dark’, créant une association équilibrée avec le poids des growls ou en position de monopole dans ‘Distant Seasons’. Ils portent littéralement toute la charge émotionnelle du direct ‘Homebound’ avec des profondeurs rarement entendues chez les Norvégiens.

Avec Håkon Vinje aux claviers "Utgard" voit aussi s’enrichir sa palette de couleurs dans les passages moins heavy avec un étonnant (et détonnant dans l’ambiance générale) ‘Urjotun’ totalement inédit dans l’écriture d’Enslaved, qui verse littéralement dans l’electro façon new wave des années 80. Une autre dimension, plus onirique et celle-ci mieux assortie avec l’ensemble de l’album, tire "Utgard" vers la lumière. Elle s’exprime dans les espaces de respirations instrumentales et les soli de ‘Sequence’ et ‘Flight of Thought and Memory’ et plus structurellement dans le magnifique ‘Distant Seasons’ aux nébulosités townsendiennes qui clôt l’album sur un moment de grâce et de poésie.

Avec sa dynamique de concision et des titres parmi les plus courts jamais écrits par le groupe, "Utgard" procède d’une volonté évidente d’efficacité. L’album n’en est pas moins dense, loin s’en faut, et ambitieux dans sa propension à vouloir concilier l’essentiel de l’identité du groupe avec ses velléités novatrices. L’écueil logique est de ne pas contenter toutes les attentes (l’aspect narratif un peu dilué) et de générer de la frustration (certains développements que l’on aurait apprécié entendre plus étoffés). Mais c’est justement ce caractère polymorphique, avec ses forces et ses faiblesses, qui fait l’attraction et la magie de "Utgard".

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