Si Maudits nous offre cet automne sa première carte de visite, le groupe ne s'articule cependant pas autour de jeunes pousses ou de musiciens obscurs, ceci expliquant l'effrontée qualité de ce galop d'essai éponyme. Malgré une renommée demeurée trop confidentielle à notre goût, The Last Embrace est un nom qui ne vous est certainement pas inconnu. Après une vingtaine d'années et cinq offrandes passé à sillonner un metal atmosphérique aux confins du progressif, le quintet a finalement décidé de s'endormir à jamais. Mais Olivier (guitares), Anthony (basse) et Christophe (batterie) ont souhaité continuer à travailler ensemble, à créer une musique toujours personnelle et exigeante. Maudits est né de cette double envie.
Ceux qui, attirés par le nom de leur ancien port d'attache, espérèrent butiner à nouveau dans ce premier effort un metal à la fois puissant et élégant gainé de chant féminin en seront toutefois pour leur frais, puisque le projet, solidement ancré dans un socle guitare/basse/batterie, est vidé de toute empreinte vocale. Ce qui ne doit absolument pas faire fuir ni les fans esseulés de The Last Embrace ni les oreilles hermétiques au format instrumental. Maudits possède suffisamment de qualités à faire valoir pour cela. Mais de quoi s'agit-il au juste ?
Les noms des indispensables Dehn Sora et William Lacalmontie (Throane, Ovtrenoir), qui gravitent à la périphérie du projet, ne doivent déjà pas vous tromper, le trio ne navigue pas (tout à fait) dans les eaux sombres du post metal lourd et apocalyptique, bien que la palette de couleurs dans laquelle trempe son univers ne soit en effet guère propice à de joyeux élans. En réalité, Maudits est indéfinissable. Insaisissable. Doom, ambient, progressif, post machin, sont les étiquettes qui lui sont collées sur la figure sans qu'aucune d'entre elles ne mette vraiment le doigt sur le style pratiqué. Tant mieux. Ce qui est certain en revanche est que ce disque a tout du jardin tranquillement cultivé, à l'ombre et à l'abri de tout impératif commercial, par des artistes mus par un bel esprit de liberté.
Raison pour laquelle ils ont opté pour une expression instrumentale, exercice périlleux s'il en est. Raison pour laquelle aussi ils n'hésitent pas à amorcer l'écoute par le titre le plus long du lot qui, durant treize minutes, suit le chemin sinueux d'une procession tout à tour massive ou aérienne, orageuse ou éthérée. Le fait que cette pièce (d'orfèvrerie) porte à la fois le nom du groupe et de l'album tend à faire d'elle une sorte de synthèse expérimentale, comme si elle avait servi de base de travail pour ses géniteurs.
Reste que cette monumentale entrée en matière ne saurait étouffer les cinq pistes suivantes, plus ramassées mais non moins fascinantes et tout aussi aventureuses et plurielles. Percutant et tellurique, 'Résilience' a quelque chose d'un grand huit émotionnel aux multiples strates, grondant d'une tension sourde et hypnotique. Si 'Liminal' et 'Solace', qui embarque un violon aux lignes osseuses, arborent le visage le plus ambient (pour le premier) et tendre (pour le second) de ses auteurs, 'Grain Blanc' est bourré d'une énergie lourde et tempétueuse, toutefois adoucie par une orchestration mélancolique tandis que 'Im Voraus Verloren' s'enfonce dans les replis d'un doom crépusculaire sans espoir de retour où le réel hurle comme un épandage de ferraille.
Alors que nous ne l'attendions pas, Maudits met de suite la barre très haut avec ce galop d'essai protéiforme brillant de lueurs oniriques et pourtant enraciné dans une réalité au bord du gouffre...