Peut-être parce que l'Islande est à la mode ou tout simplement parce la nature l'a pourvue de riches attributs, Auðn n'a pas tardé à faire d'elle sa source d'inspiration, quittant rapidement l'ornière de l'underground (son premier album fut édité par le modeste label Metallic Media) pour accoster des rivages mieux exposés, ceux de Season Of Mist en l'occurrence qui n'a pas manqué de flairer un potentiel qui, clairement, ruisselait déjà du galop d'essai éponyme.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore ce groupe qui n'a que trois offrandes à son actif en comptabilisant le sujet de cette chronique, sachez que celui-ci arpente les terres abruptes et épiques d'un black metal à la froide mélancolie, trempé dans la neige et le sang, que l'étiquette "atmosphérique" qui lui est accolée ne résume toutefois que maladroitement. Il faut comprendre que c'est un art riche en ambiances dont la beauté dramatique ne lui interdit ni un élan fielleux ni une violence granitique. Les Anglais Fen et Winterfylleth comptent parmi les hérauts de cette branche du black metal plus rocailleuse et émotionnelle mais pas moins brutale. Mais Auðn n'est pas loin de les détrôner, comme le confirme "Vökudraumsins Fangi".
Habillé comme toujours d'un très beau visuel, dont les teintes moins élégiaques semblent annoncer un contenu aussi sombre que furieux, l'album est taillé dans le même patron que ses prédécesseurs, faits de compos torrentielles coincées entre d'autres plus trapues. S'impose malgré tout l'impression d'avoir à faire à une œuvre plus massive que ses devancières. Les échappées épiques figurent certes en bonne place, incarnées en premier lieu par 'Einn um alla tíð', huit minutes monumentales dont la force déchainée est poinçonnée par des cassures d'un absolu désespoir et poussée par des guitares d'une beauté déchirante. 'Horfin mér' est à ranger à ses côtés, puissante saillie qu'entaille profondément la griffe des Islandais qui aiment sculpter de vastes paysages d'une flamboyance minérale et dont les reliefs meurtris se dressent comme des remparts contre lesquels se fracassent des images tragiques. Plus posé mais tout aussi grandiose se veut 'Vökudraumsins Fangi', conclusion quasi instrumentale et tout en progression, munie d'une première partie bouleversante qui saura vous tirer toutes les larmes du corps.
Reste que le quintet a appris à resserrer son canevas, redoublant ainsi d'une intensité volcanique comme en témoigne ' Verður von að bráð'. Mais plus que jamais, Auðn fait avant tout couler le sang tel une lave s'échappant d'un cratère longtemps endormi. 'Eldborg' abat le petit bois de même que 'Drepsótt' ou 'Á himin stara', de pures flambées black metal. Si le groupe cède parfois à des mélodies plus tendres que tragiques, à l'image des 'Ljóstýra' et 'Birtan hugann brennir', au demeurant superbes, cela ne suffit pas à limer la force souterraine de cet album et encore moins à entamer l'orgasme que son écoute déclenche.
Trouvant le juste équilibre entre noirceur abrasive et atmosphères belles comme un paysage d'automne, Auðn offre avec "Vökudraumsins Fangi" un très grand disque de black metal enraciné dans la roche islandaise, qui le fait entrer dans la cour des "saigneurs" du genre.