Hate Forest serait-il revenu d'entre les morts parmi lesquels il erre depuis seize ans ? C'est du moins l'impression qui s'impose d'emblée une fois l'écoute de "Tectonics" lancée. Même fureur bestiale, même radicalité, même violence bouillonnante et définitive dans cette manière de stopper brutalement chaque titre. Roman Saenko semble avoir enfin accouché du successeur de "Sorrow", testament de Hate Forest. Et tant pis si ce retour s'exécute sous une autre bannière, celle de Precambrian dont nous n'espérions pourtant pas grand-chose, la faute à une discographie qui, jusque-là, se bornait à deux EPs, "Proarkhe" (2014) puis "Aeon" (2016), agrégés plus tard sous la forme d'une compilation baptisée "Glaciology" (2019).
La parenté avec Hate Forest se révèle donc prégnante même si le carburant qui coule dans les veines de cet énième projet de l'Ukrainien diffère de celui de la bête originelle. Un concept géologique étonnant a remplacé le nationalisme et l'aryanisme d'autrefois, lequel dicte cependant un art noir massif et compact comme une coulée de lave, glacial comme certains épisodes du Précambrien, période lointaine évocatrice de temps méconnus qui ont façonné la surface et les entrailles de la terre.
Musicalement en revanche, Saenko renoue avec ces borborygmes gutturaux comme échappés du fond des âges et une vélocité qui jamais ne débande. Il en résulte un premier méfait d'une démentielle intensité que propulsent des blasts ininterrompus. En moins de trente minutes, cinq morceaux s'écoulent à la vitesse d'un torrent en crue. De 'Archeabacteria' à 'P-Tr. Extinction', rien ne vient jamais briser cette brutalité minérale qui nous étrangle comme un étau. Comme une plongée dans une ère ancienne où la vie n'existe pas encore, "Tectonics" grouille d'une inhumanité. L'œuvre dresse des paysages granitiques aux traits abrupts que sillonnent de pesantes et vertigineuses crevasses ('Cryogenian').
Face à un tel dégazage de violence aux allures de marteau-pilon devenu incontrôlable, on ne retient tout d'abord rien sinon une masse informe d'où s'exhalent ces vocalises caverneuses. Pourtant peu à peu, une vague trace de beauté sinon de désespoir commence à poindre à la surface, tapie dans les méandres épais de ces froids concentrés de barbarie, à l'image du monumental 'Volcanic Winter' dont les remparts de guitares suintent de souterraines et dramatiques émotions.
Avec Precambrian, Roman Saenko, toujours soutenu par l'indéboulonnable section rythmique constituée de Vlad (batterie) et Krechet (basse), arbore le visage déformé par une haine primitive qu'on aime tant lui voir prendre, loin du black désormais plus technique qu'atmosphérique de Drudkh, son principal port d'attache, qui s'est égaré depuis quelques années sur un chemin au bord duquel on reste de plus en plus, incapable de nous toucher, de nous émouvoir, comme naguère. Entre Windswept, Rattenfänger et Precambrian, l'Ukrainien confirme que l'impétuosité glaciale et sinistre lui sied finalement davantage que la mélancolie automnale telle qu'il la matérialise désormais...
Grondant d'une sève atavique, d'une brutalité aussi séculaire que rugueuse, "Tectonics" est un album de black metal sans concession, sculpté dans de lourds et puissants reliefs, témoins du fond des temps.