Nightfall est un nom qui ravivera de nombreux souvenirs chez les vieux cons comme votre serviteur qui découvrait, il y a pas loin de trente ans déjà, la scène hellénique. Septic Flesh, Rotting Christ et donc Nightfall animaient alors la frise de ce Parthénon du metal extrême. Le groupe d’Efthimis Karadimas nous évoque aussi l'époque de Holy Records grâce auquel tant de projets musicaux aussi précieux que singuliers ont pu se faufiler dans nos cages à miel. Au sein de ce catalogue où se côtoyaient aussi bien Misanthrope qu'Elend, Yearning que Tristitia, les Grecs avaient non seulement toute leur place mais ne cessaient surtout de nous surprendre car les expérimentations ne les ont jamais rebutés, témoin l'electro et controversé "Lesbian Show".
Du coup, nous ne savons jamais trop à quoi nous attendre au moment de poser une oreille sur une nouvelle offrande de Nightfall, d'autant plus que celui-ci s'est montré depuis quinze ans fortement avare de sa ténébreuse semence, même si Efthimis et Kostas ont besogné en parallèle au sein du très bon The Slayerking. Successeur tardif de "Cassiopeia" (2013), quelle voie "A Night We Prey" allait-il donc emprunter ?
Un rapide coup d'œil sur la pochette semble annoncer un contenu extrêmement sombre, sans doute tourmenté, comme échappé d'un film d'horreur de série B. Et en effet, ce dixième album nous plonge dans un univers nocturne peuplé de démons (intérieurs), ceux du chanteur et âme du groupe qui trouve là une manière de catharsis. L'homme se vide littéralement de toutes ses humeurs. Noires, forcément noires. Par sa férocité tellurique, 'Darkness Forever' fouille les tourments de son principal auteur alors que 'Giants Of Anger' répand un mid-tempo dont les atmosphères mélancoliques trahissent elles aussi ce malaise mental.
Pour autant, Nightfall ne se départit ni de ces accroches typiquement helléniques ('Temenos') et encore moins de son goût pour des mélodies qui font parfois plus qu'affleurer à la surface de cette nasse haineuse, à l'image du très mélo death 'Killing Moon' ou de 'Martyrs Of The Cult Of The Dead' que cisaillent des guitares obsédantes. Mais le titre le plus révélateur de l'état d'esprit qui a présidé à la réalisation de "At Night We Prey" est celui qui lui donne son nom, composition longue de plus six minutes qui, après une entame rappelant le passé doom death du groupe, forge ensuite un gothic metal pulsatif avant d'ausculter, lors d'une dernière partie théâtrale que hantent des chœurs féminins, la nuit et les troubles qui l'accompagnent.
Ouvrage évidemment très personnel, "At Night We Prey" peut décontenancer par sa dureté de traits mais, s'inscrivant dans la continuité de ses plus récents prédécesseurs, il atteste que Nightfall n'a jamais autant mérité son nom et que sa crépusculaire inspiration est loin d'être encore tarie. Mieux, c'est dans cette ambiance dépressive qu’Efthimis Karadimas puise finalement une de ses créations parmi les plus acérées et entêtantes.