Avec son EP éponyme, suivi tardivement par un premier album, "Brutalism", MUR nous avait déjà autant enthousiasmés que déroutés. Mélange hybride de black metal et de post hardcore auquel est injecté une dose de synthwave, la musique fabriquée par ce groupe où se croisent aussi bien un ancien batteur de Glorior Belli (Julien Granger) que le guitariste Benjamin Leclere de Eyes Front North et ex-Northwinds est de celles qui ne laissent pas indifférent. Elle compte surtout parmi les bizarreries impossibles à classer, à enfermer dans une case bien précise. A une époque où généralement rien ne doit dépasser, il est toujours agréable de voir des musiciens faire fi des codes et des impérieuses injonctions.
En cette période troublée, le groupe revient gratter à notre porte pour s'insinuer dans un quotidien qui n'est pas nécessairement demandeur de ce genre d'expériences sonores à la fois curieuses et inconfortables. D'autant plus que, EP peut-être, "Truth" n'en constitue pas moins un bloc d'une grande densité aux allures de laboratoire pour ses géniteurs qui semblent plus que jamais ne s'imposer aucune limite. Musicalement, MUR pousse encore loin le recours aux claviers et machines carburant à une synthwave laquelle, loin de l'adoucir, confère à ce matériau en fusion, brutal et épidermique, une espèce de folie vicieuse et prolifératrice. Ce qu'illustre idéalement la reprise du légendaire 'Such A Shame' dont il n'est d'ailleurs pas du tout évident que les fans de Talk Talk en goûtent l'audace tant il se voit défiguré. Seule sa mélodie affleure par moments d'un magma charriant voix hurlée, percussions torrentielles et mécanique bruitiste. Alors que cette cover aurait dû fournir le moment le plus rassembleur de l'écoute, le sextet réussit au contraire la gageure de la transformer en un maelström perturbant.
En comparaison, les trois titres qui la précèdent paraissent presque sages, plus conformes au post black/hardcore que sillonnent des nervures électro ('Epiphany'). 'Suicide Summer' ouvre quand même les vannes d'une violence enragée cependant que 'Inner Hole' dresse les murs d'une usine abandonnée et rongée par la rouille. Thématiquement, l'opus se veut une réflexion à la fois pessimiste et salvatrice sur l'effondrement du monde et en corollaire celui de l'individu. Du haut de ses dix minutes instrumentales, le morceau-titre témoigne de cette ambivalence, pulsation faussement apaisée s'abîmant peu à peu dans un éther de désespoir, débouchant sur une conclusion d'abord chaotique puis mortuaire avec ses bouleversantes notes de piano. Point d'orgue et point final d'une création atypique et audacieuse qui réclame une patiente défloration pour en sucer la sève intime.
S'il n'est pas acquis que tout le monde l'apprécie à juste valeur, "Truth" mérite néanmoins d'être découvert et ses auteurs avec, que n'effraient ni le mélange des genres ni le plaisir de martyriser une partition aussi autoritaire qu'ensorcelante.