Il y a des héritages plus lourds à porter que d’autres. C’est sans doute pour ça qu’Archie Lee Hooker a commencé sa carrière de bluesman très tard. "Living In A Memory" n’est que le deuxième album solo du septuagénaire. Même s’il a toujours plus ou moins baigné dans la musique, notamment dans le gospel quand il était jeune, ce n’est qu’à l’âge de 40 ans, lorsqu’il a élu domicile chez son oncle, le grand John Lee Hooker, qu’il a pris conscience que le blues était inscrit dans ses gènes et qu’il n’échapperait pas à son destin. Aujourd’hui, Archie assume parfaitement sa filiation avec le Boogie Man, à tel point qu’il a baptisé son groupe, The Coast To Coast Blues Band, du même nom que celui de son glorieux aîné. Toutefois, ça ne l’empêche pas de suivre son propre instinct musical et de mettre le cap vers le nord à de nombreuses reprises au gré des douze titres qui composent "Living In A Memory".
En effet, si les très roots ‘Parchman Bound’, ‘Nightmare Blues’ et surtout ‘I Miss You Mama’ (qui est à la fois un hommage à Robert Johnson et à la propre mère d’Archie) sont là pour nous rappeler qu’Archie Lee Hooker est bien un enfant du Mississipi, la couleur dominante de l’album tire plus vers le blues de Chicago que vers celui du Delta. Archie aime les cuivres et ils le lui rendent bien, en portant à merveille sa voix grave imprégnée de soul (‘It’s A Jungle Out There’, ‘Blinded By Love’). Pour l’Américain, le blues n’est pas qu’une musique de guitariste et de nombreux solos de saxophone viennent ponctuer l’album, ce qui donne lieu à de vraies réussites comme l’excellent blues rock ‘I Give It With A Smile’ et le très rockabilly ‘My Baby’.
Cependant, même si "Living In A Memory" est un album agréable à écouter et fait la part belle à l’éclectisme en balayant une grande variété de styles blues, du soul blues mélancolique (‘Sorry Baby’) au boogie (‘Getaway’), il demeure un album rétro. C’est ce qui fait son charme mais aussi sa limite, car il lui manque ce fameux supplément d’âme qui distingue les artistes réellement habités par leur art et les autres, ceux qui appliquent les bonnes recettes mais auxquels il manque le feu sacré. Archie Lee Hooker est né à quelques miles du carrefour où Robert Johnson a, selon la légende, vendu son âme au diable, mais il vit depuis dix ans en France. Peut-être y a-t-il perdu un peu de la sienne … allez savoir.