Est-il vraiment besoin de le rappeler, Paysage d'Hiver est le projet black/ambient de Wintherr, l'une des trois âmes qui se confondent sous la bannière atmosphérique et spatiale de Darkspace. Une foultitude de démos et une poignée de splits ont forgé l'aura de Paysage d'Hiver et fixé son univers, nocturne et neigeux, astral et ténébreux. Etonnamment, leur auteur les considère moins comme des créations à part entière que comme de simples ébauches. Pourtant "Die Festung" (1998), notamment, peut être tenu comme une pièce maîtresse de cette excroissance de l'art noir. Toujours est-il que le musicien voit dans "Im Wald" (2020) son premier véritable album. Lui succède aujourd'hui "Geister" que nous étions évidemment nombreux à guetter.
Sa pochette, représentant un masque ancestral (nous y reviendrons) ainsi que la courte durée inhabituelle affichée par la majorité de ses pistes n'étaient pas de bon augure. Mais, connaissant l'inspiration immense de Wintherr, nous ne pouvions bien sûr juger cette offrande à l'aune d'un premier contact peu rassurant. Las, l'immersion dans ses sombres et venteuses arcanes confirme ces craintes. Au voyage méditatif et néanmoins torrentiel à travers des territoires figés par l'hiver, le maître des lieux préfère cette fois-ci une expression plus directe, plus agressive, empilement mécanique de strates et de riffs que recouvrent des vocalises hurlées.
Peu de synthétiseurs mais un fracas (quasi) ininterrompu de guitares autoritaires et d'une batterie métronomique. Tracés de contours opaques, les titres s'enchaînent les uns aux autres, presque identiques, donnant l'impression d'un bloc sévère dont les parois grouillent de créatures de la nuit. De ce magma n'émergent guère que 'Wüetig' et 'Wärzä', dont les murs qu'ils dressent battent d'un pouls lancinant et saccadé. Et puis, au bout de cette sente meurtrie se répand enfin durant dix minutes le terminal 'Geischtr', plainte fantomatique qui vient rappeler le Paysage d'Hiver que nous espérions tant butiner dans ce deuxième album. Dix minutes d'effluves répétitives et électroniques au souffle hanté qui brutalement stoppent ce torrent de riffs. Dix minutes salvatrices d'une beauté minimaliste qui témoignent que le bonhomme demeure un maître incontesté des ambiances hivernales.
Bien sûr, combien nous aurions préféré un opus entier tressé dans cette écorce brumeuse et épique plutôt que ce maelström implacable. Mais reconnaissons à Wintherr, outre la capacité intacte de fouiller l'obscurité, la volonté louable de travailler son art, quitte à rebuter et à diviser. C'est la marque des grands, des visionnaires. Du reste, cette approche aussi radicale que bouillonnante se prête parfaitement au récit que ce nouveau chapitre raconte, inspiré de rites visant à entrer en contact avec les morts et plus particulièrement du Tschäggättä, ces masques monstrueux du folklore de la vallée suisse du Lötschental.
S'il déçoit parce qu'il ne correspond pas à ce que nous en attendions, "Geister" n'en reste pas moins une œuvre intéressante, brutale dans ses ambiances funèbres et cosmiques, vénéneuse dans ses émotions froides et désincarnées.