Devin Martyniuk est un esprit créatif brillant. Son groupe, Before & Apace, qui tient son nom d'une réplique de "Roméo & Juliette" de W. Shakespeare, existe virtuellement depuis près de 20 ans dans son esprit, mais il ne sort son premier album qu'en ce printemps, le temps d'absorber ce que le monde a à lui apprendre et de le mettre en musique.
Brillant mais torturé. Le Canadien s'inspire de Meshuggah pour les phases les plus heavy et saccadées, mais également de son compatriote Devin Townsend, auquel il emprunte un goût prononcé pour la musique épique et progressive à tendance extrême. Impossible également de ne pas citer The Mars Volta que "The Denisovan" invoque par ces changements de rythmes répétés, ses envolées brutales endiablées entrecoupées d'ambiances tantôt inquiétantes et presque cinématographiques (l'intro de 'Simultaniagnosa'), tantôt carrément givrées.
Martyniuk souhaite que sa musique soit constructive au même titre que "... Tool écrit sur Carl Jung, ou que System Of A Down crie pour la réforme des prisons...'. Il utilise donc Before & Apace "... comme un livre de recettes pour vivre une bonne vie". L'album ne contient que quatre titres pour près de 55 minutes de musique. Vous comprendrez qu'il n'est pas aisé de résumer des pistes de plus de 10 minutes, voire près de 20 comme la finale, construite comme une tétralogie qui ne dévoilerait son sens profond qu'à l'aune de l'écoute de son ultime mouvement, révélant ainsi l'essence même de chacune des parties précédentes. Vous avez dit bizarre ?
S'appuyant sur une section rythmique excellente, certaines parties sont plus accessibles, comme 'Zeno' et ses ruptures rythmiques entre metal prog syncopé et ambiances tooliennes, et 'Limbics' dont la brutalité féroce et la noirceur apparente saisissent l'auditeur, laissant place à un final atmosphérique d'une rare émotion. Nul doute que de nombreuses écoutes sauront révéler les mille subtilités d'un album d'une complexité tortueuse et pourtant immédiatement jouissif comme peut l'être le rageur 'Ontogeny'.
"The Denisovan" est un album ambitieux qui devrait plaire aux amateurs des groupes déjà cités plus haut. Ajoutons-y ceux de The Reticent pour la profondeur des textes et de l'interprétation et de Tool, puisque Martyniuk emprunte au quatuor californien cette capacité à créer un lien entre de nombreuses parties hétéroclites, les unissant en un ensemble cohérent à la lumière d'une écoute complète. Difficile de croire que la maitrise technique et créative de Martyniuk ou la richesse de son œuvre cohabitent sur un premier album, sauf quand on connaît sa durée de gestation. Pas du tout un coup d'essai, un coup de maître d'entrée.