Ce n'est pas une nouvelle de dire que The Black Keys sont fans de blues, en particulier Dan Auerbach. Lors de son premier opus ("The Big Come Up" – 2002), le duo avait déjà repris le titre de Junior Kimbrough, 'Do The Romp', qui était devenu 'Do The Rump'. Pour leur nouvel album, les Américains ont décidé de se consacrer uniquement à l'exercice du cover avec onze titres tirés du répertoire du Mississippi Hill Country Blues. Pour cela, Auerbach et Carney se sont offert les services de deux pointures du genre avec Eric Deaton à la basse et Kenny Brown à la guitare slide.
Enregistré en conditions live, le plus souvent en une seule prise, dans le studio de Dan Auerbach, le dixième album du duo d'Akron (Ohio) s'intitule "Delta Kream" et se veut un hommage à ce genre très particulier basé sur des riffs réguliers, voire répétitifs. Mais si la légende du style est John Lee Hooker, c'est bien Junior Kimbrough qui est le plus honoré ici avec cinq titres. Même l’interprétation du 'Crawling Kingsnake' de Hooker est très influencée par sa version de 1994. 'Stay All Night' laisse apparaitre ses silhouettes derrière des brumes de chaleurs avec un chant émouvant et des guitares aveuglantes. 'Do The Romp' se fait plus teigneux, 'Sad Days, Lonely Nights' capte aussi bien l'attention que l'esprit des légendes du genre, et 'Walk With Me' apparaît sautillant et entraînant. Enfin, 'Come And Go With Me' étale sa mélancolie à la fois plaintive et désabusée.
Si l'exercice de la reprise est à la fois risqué et limité, The Black Keys s'en sortent très bien en retranscrivant parfaitement l'esprit roots et hypnotique des onze titres proposés. Il est régulièrement possible d'entendre les musiciens effectuer quelques réglages avant de commencer à jouer, ou discuter à la fin de certains titres. Et l'on se surprend à s'imaginer au volant d'une vieille décapotable sur les routes poussiéreuses du Sud le temps d'un 'Poor Boy A Long Way From Home' au chant profond, aux guitares lumineuses et à la batterie ferroviaire. Sur 'Going Down South', autre reprise de R.L. Burnside, Dan Auerbach utilise un chant en falsetto et Ray Jacildo vient poser quelques lignes d'orgue. 'Coal Black Mattie' (Ranie Burnette) appuie sur l'accélérateur et la paire Auerbach / Brown distille une énergie contagieuse. Enfin, le 'Mellow Peaches' de Big Joe Williams promène son mid-tempo sur des chemins zébrés de coups de slide dans une atmosphère surchauffée entretenue par la complémentarité des guitares et de l'orgue.
"Delta Kream" est un hommage respectueux et talentueux à une composante du blues le plus traditionnel. The Black Keys et leurs invités ont parfaitement capté l'esprit des figures les plus légendaires du genre et ils offrent ici un superbe voyage au milieu des paysages poussiéreux et brûlants du Sud profond. Sans être révolutionnaire, cet opus n'en est pas moins un superbe coup de projecteur sur cette facette si particulière et hypnotique du blues des origines.