Comme nous tous, Tamás Kátai, l'unique membre permanent de Thy Catafalque, se sent particulièrement affecté par l'état dans lequel s'abîme le monde. Entre crise sanitaire, péril écologique, tensions géopolitiques et flambée de l'obscurantisme, la situation actuelle n'est en effet guère réjouissante et appelle chez lui un besoin d'évasion voire de fuite. "Vadak" est né de cette inquiétude et en même temps de cette envie de se cacher, de renouer avec un heureux passé, ou au contraire de plonger dans l'inconnu.
Ce thème commande la nature à la fois sombre (parfois brutale même) de cette dixième offrande du Hongrois mais aussi sa légèreté lumineuse et sa beauté salvatrice. Musicalement, Thy Catafalque demeure cette entité indescriptible, plus ou moins et maladroitement arrimée tout d'abord au black metal avant de s'en affranchir très vite, enracinée dans le ténébreux folklore hongrois tout en étant nourri d'un humus électronique. Le tout se révèle en toute logique unique et insaisissable, vibrant d'une grande force d'envoûtement.
Le successeur de "Naiv" (2020) est bien sûr à l'image de ce projet qui ne ressemble donc à aucun autre, tour à tour rapide comme un torrent en crue, témoin ce 'Az energiamegmaradás törvénye' que martèle dans sa première partie un tempo puissant et mécanique, évanescent comme sur 'A kupolaváros titka' où se mélangent piano et saxophone, folklorique ('Kiscsikó (Irénke dala)') ou totalement dépouillé dans sa déchirante mélancolie ('Zúzmara').
Habillé d'un très beau visuel invitant à la contemplation, gravé au quatre coins du monde et peuplé d'une myriade d'intervenants, chanteuses ou musiciens traditionnels venus épauler le maître des lieux, "Vadak" impressionne par son caractère foisonnant. Chaque titre grouille d'une incroyable richesse instrumentale où dans les profondeurs d’un creuset boisé se confrontent duduk arménien, violon, percussion métronomique ou plus tribale, guitare aérienne et nimbes électroniques. Ensorcelante, l'œuvre n'en est pas moins difficile à suivre, filant les tourments et les aspirations de son créateur.
L'écoute s'ouvre sur 'Szarvas', le titre le plus noir du lot secoué par un pouls obsédant tandis que plusieurs chanteurs viennent le visiter. La voix féminine de Martina Veronika Horváth domine le bouleversant 'Köszöntsd A Hajnalt' dont les teintes folkloriques et le rythme lent tranchent avec l'élan fiévreux de son prédécesseur. Puis déboule un troisième morceau encore très différent, ce 'Gömböc' serti de touches electro mais dressant un mur lourd et écrasant. Le reste est à l'avenant, alternant respirations nostalgiques, voire quasi cosmiques ('Piros-sárga') ou longues pulsations alliant black metal débridé et poésie forestière, comme l'illustre 'Vadak' dont les douze minutes balaient de vastes paysages tant sonores qu'émotionnels.
De cette profusion couplée à une constante ambivalence entre noirceur désespérée et beauté mystique, découle un album aussi enivrant qu'impénétrable qui suscite autant l'envie d'affronter le monde que de le fuir. Au bout de ce chemin escarpé se niche un endroit paisible aux allures de refuge que l'on n'a plus envie de quitter.