Syd Kult est un groupe d'origine parisienne. Une triplette qui traine ses guêtres dans les bas-fonds du rock au sens le plus large possible afin d'assouvir sa soif créative. En un peu moins de neuf ans, le groupe a sorti deux albums et trois EP et vient de produire "Damnatio Memoriae". Fort de son expérience, le combo façonne un disque qui puise dans l'Antiquité un thème qui apparaît de nos jours encore plus prégnant qu'à l'époque et que l'on appellerait aujourd'hui "la cancel culture". Dans les temps anciens (à Rome), le Sénat votait des lois visant principalement les puissants pour effacer de la mémoire collective leurs honneurs, leurs représentations (monuments...) et donc leur existence.
Ce sujet fort offre donc musicalement des perspectives intéressantes dont Syd Kult se saisit dans ce nouvel album. La colère transpire de 'Unleash The Dogs' et de 'All Along The Way' au refrain à la fois rageur et dépouillé dans le mix comme pour accentuer cette émotion. Syd Kult pioche ainsi dans Soundgarden son interprétation habitée et sauvage à la Chris Cornell. Le trio libère sa parole dans des titres plus massifs et directs, mettant de côté l'aspect progressif qui émaillait les précédents albums. Il gagne ainsi en efficacité avec notamment 'Where We Belong' à la mélodie dévastatrice par sa rythmique diabolique et ses courts solos bien trouvés.
L'équilibre entre l'expression musicale plutôt libre et le chant qui guide l'auditeur est justement pensé et arrangé tout au long de l'album. L'instrumental 'March Of The Tyrans' accentue l'aspect immersif de l'album en lui apportant une touche cinématographique supplémentaire portée simplement par le contraste entre une rythmique martiale et la mélodie qui s'y greffe, permettant à chacun de se créer ses propres images (liées à l'actualité encore récente). Vu sous le prisme des évènements actuels, le titre prend encore plus de sens sans forcément le vouloir à la base. 'Alpha Orionis Supernova' s'inscrit dans ce sillon avec un versant électronique et plus clinique. Le titre amorce un 'Bittersweet' plus chaleureux, organique et humain grâce à l'apport de l'acoustique, et à la mélodie imparable teintée d'une mélancolie vaporeuse.
Si la volonté du groupe était de frapper les esprits avec des titres plus ramassés, il n'en oublie pas non plus de lui apporter un surplus progressif tant dans l'interprétation expressive ('Deaf Call') que dans l'instrumentation pour atteindre le summum dans 'Damnatio Memoriae'. Le titre est à lui seul une sorte de bande originale de film, avec une introduction fantomatique suivie d'une évolution progressive qui alterne plusieurs mouvements d'abord lents, avec un chant éraillé parfois proche de Molybaron, laissant place à l'inquiétude et à la torpeur dignes des compositions de Hans Zimmer pour aboutir à une fin plus épique.
"Damnatio Memoriae" ne s'apprivoise pas si facilement que cela et il faudra de nombreuses écoutes pour en dévoiler toute sa richesse. C'est un signe de qualité que de demander de tels efforts pour obtenir cette récompense. Il y a à la fois une belle maîtrise mais aussi un aspect sauvage pour traduire un état d'esprit réfléchi et en même temps une colère moins contrôlée. Avec de tels arguments, l'album n'est pas prêt d'être effacé de vos mémoires.