Sa vie a tout d’un parcours initiatique. A 20 ans, Natalia M. King quitte son quartier natal de Brooklyn pour traverser les Etats-Unis. De New-York à Los Angeles, elle cumule les galères et les petits boulots, mais son rêve de devenir chanteuse ne la quitte jamais, même si les déceptions s’enchaînent, à commencer par l’indifférence générale des studios. Alors à la fin des années 90, elle prend un aller simple pour la France avec pour seules références les romans sur le Paris d’après-guerre. La réalité la rattrape bien vite et Natalia exerce sa voix dans le métro parisien jusqu’à ce qu’une équipe de télévision la repère et la propulse dans la lumière. S’en suivent 3 albums bien rock, "Milagro", "Fury And Sound" et "Flesh Is Speaking", ainsi que la première partie de Diana Krall à l’Olympia. Et puis plus rien. Natalia fait un break de sept longues années avant de revenir en 2014 avec une nouvelle orientation musicale faite de jazz, de soul et de blues. Elle a mis des dizaines d’années à se l’avouer, le blues fait partie de sa vie. Il fallait seulement qu’elle mûrisse suffisamment pour se l’approprier en tant que femme et en tant que chanteuse. Son septième album, "Woman Mind Of My Own", nous prouve à quel point elle a bien fait d’attendre.
Natalia M. King fait partie de ces artistes très rares, comme Nina Simone ou Billie Holiday, qui ont dans la voix et dans leur façon de chanter un côté rebelle indéfinissable. Chaque note, chaque inflexion reflète un caractère bien trempé. Chaque intonation porte l’héritage de ses aînés, en premier lieu celui par qui tout a commencé, Robert Johnson, auquel elle rend un très bel hommage avec le titre ‘Woman Mind Of My Own’.
En un seul couplet, Natalia a le pouvoir de vous retourner l’âme (la superbe reprise de ‘One More Try’ de George Michael) et de vous rallier à sa cause comme sur ‘Aka Chosen’ qui relève autant d’un plaidoyer pour la différence que d’un coming out poignant. Et même lorsqu’elle convie en duo des voix masculines, Grant Haua sur ‘(Lover) You Don’t’ et Eliot Murphy sur ‘Pink Houses’, c’est encore elle qui porte sur ses épaules tout le poids d’un héritage blues que seuls les descendants d’esclaves peuvent transmettre. Entre folk blues (‘So Far Away’, ‘Play On’) et ballades soul (‘Forget Yourself’, ‘Sunrise To Sunset’), la voix de Natalia M. King vous enveloppe de ses intonations chaleureuses pour ne plus vous lâcher, à la manière d’une Rickie Lee Jones qui porterait à elle seule tout l’héritage noir américain.
Curieux destin que celui de cette femme noire américaine qui profite de son exil en France pour enfin renouer avec ses origines. Il paraît que partir, c’est mourir un peu. Pour Natalia M. King, c’est au contraire une renaissance, celle d’une blues woman enfin assumée dont la superbe voix domine "Woman Mind Of My Own", comme la tristesse et l’espoir de jours meilleurs dominent l’histoire du blues.