Voilà le genre d'albums que nous recevons trop rarement à Music Waves. Car, il ne faut pas se le cacher, nombreuses sont les sorties qui se suivent et se ressemblent. Bien sûr, ça a un côté rassurant, confortable, l'auditeur trouve tout de suite ses repères, est immédiatement en terrain connu. Et puis, comment réinventer le rock, le hard, le metal… tout a été écrit, ou presque. Aussi n'est-il pas désagréable de voir surgir de temps en temps un OVNI sonore issu de l'imagination fertile d'un compositeur audacieux.
Et de la créativité, Daniele Del Monaco en a à revendre. Celle-ci s'exprime librement sur "The Zone", une œuvre conceptuelle qui aura pris son temps pour éclore : celle-ci était déjà jouée sur scène en 2014 et son enregistrement, commencé en 2018, aura finalement mis quatre ans pour aboutir.
Le résultat est à la hauteur de cette lente gestation. Certes, pour en revenir au préambule, seuls les auditeurs en quête de nouveaux paradis sonores auront la patience et la volonté pour apprivoiser une musique complexe, exigeante, inhabituelle, en un mot avant-gardiste. Mais là où l'avant-gardisme peut rapidement se transformer en un bloc hermétique inaccessible pour la plupart et volontiers rasoir, Daniele Del Monaco arrive à combiner ses audaces musicales à des moments mélodiques, évitant à son auditoire de se perdre ou de sombrer dans l'ennui par une musique trop exigeante. Il y est aidé par quatre interprètes qui excellent chacun à leur poste, à commencer par Satoshi Takeishi à la batterie, pour lequel le mixage très en avant permet d'apprécier le jeu tout en finesse. Ken Filiano à la basse prouve qu'il est à la hauteur du jeu de son partenaire et Marco Cappelli nous sert quelques solos véloces, même si ce n'est pas l'intention principale de l'album. Enfin, Fay Victor habite indéniablement tous les titres. Sa voix rauque de chanteuse de jazz joue de tous les registres, chantant, parlant (de nombreux passages sont parlés), murmurant, feulant, rugissant, créant l'émotion, qu'il s'agisse de tristesse, de peur ou d'angoisse.
Comme pour toute bonne musique d'avant-garde, le contenu de "The Zone" est indescriptible tant les styles musicaux abordés et les processus expérimentaux utilisés sont variés. La voix (mais pas forcément le chant) est omniprésente, la musique alterne passages mélodiques, délires discordants, recueillements intimistes, samples et sons non identifiés, le tout se succédant sans crier gare. Tout l'art de Del Monaco est de rendre l'ensemble suffisamment attractif pour conserver l'intérêt de l'auditeur et lui insuffler de nombreuses sensations diverses et variées.
"The Zone" délivre une musique de caractère qui nécessite plusieurs écoutes pour être apprivoisée et appréciée à sa juste valeur. Le dépaysement est garanti, cela mérite bien un petit effort. La bonne musique d'avant-garde est si rare qu'il serait dommage de passer à côté.