Affirmer que Carpenter Brut est devenu un véritable phénomène tient du doux euphémisme, invention française que le monde entier (au moins) nous envie et qui a su dépoussiérer la synthwave en lui injectant une puissante dose de metal pour un résultat vrombissant qu'enténèbrent des références aux films d'horreur des années 80. Après trois EPs qui, entre 2014 et 2015 ont fixé son style endiablé et réveillé une armée de zombies échappés d'un vieux Lucio Fulci, Carpenter Brut a entamé une seconde trilogie, d'albums longue durée cette fois-ci, et baptisée "Leather".
Clin d'œil évident au fétichisme graphique véhiculé par le giallo et plus tard le slasher, son héritier américain, ce triptyque est conçu comme la bande originale d'un film d'épouvante imaginaire dont "Leather Teeth" (2018) nous a présenté son héros, Bret Halford, étudiant timide amoureux d'une fille qui le rejette. Ivre de vengeance, il est défiguré suite à une expérience chimique qui tourne mal et devient le chanteur d'un groupe de rock. "Leather Terror" nous conte la suite de ses aventures. Malgré une énergie toujours au garde-à-vous, le premier volet n'a pas manqué d'en décevoir certains qui l'ont jugé un peu trop lumineux, pas assez noir, ambiance plus solaire qui collait en réalité à son récit. A sa décharge, qui plus est, succéder aux trois EPs matriciels n'était pas chose facile et relevait même d'une impossible gageure.
La pandémie qui a figé la planète entière a laissé à Carpenter Brut le temps nécessaire pour peaufiner ce deuxième chapitre, le malaxant dans ses moindres détails, affinant les atmosphères, soignant les arrangements. Ce travail immense explique pour partie la réussite plus franche affichée par ce "Leather Terror" qui, osons l'annoncer de suite, domine son prédécesseur, vibrant d'une vitalité nocturne et foudroyante.
L'album frappe déjà par sa variété et par les nombreuses nuances dans lesquelles il puise sans pour autant jamais perdre en cohérence. Cela fait de lui sans aucun doute la création à la fois la plus touffue et la plus diverse de son géniteur, parfois hypnotique, souvent ténébreuse, toujours énergisante, rarement positive (à l'exception relative de ce 'Lipstick Masquerade' au feeling très Giorgio Moroder). Vierge de toutes guitares, "Leather Terror" dresse néanmoins un bloc extrêmement massif, ('Straight Outta Hell'), turbocompresseur qui écrase tout dans son sillage sans que l'absence de six-cordes n'en grève la force.
De multiples invités sont conviés, participant à cette impression d'abondance, chacun apportant sa personnalité pour modeler le morceau qu'il anime, que ce soit Greg Puciato (The Dillinger Escape Plan) sur 'Imaginary Fire' dont il s'empare avec la limpide fureur qui le caractérise, la chanteuse Sylvaine qui hante un 'Stabat Mater' tripant, Johannes "Jonka" Andersson (Tribulation) qui précipite le terminal 'Leather Terror' dans un effrayant banquet gothique, pour n'en citer qu'une poignée.
Mais la force de ce deuxième album tient aussi et surtout à sa teneur beaucoup plus sombre, qui dicte un menu tout simplement plus sanglant, plus agressif, renouant en cela d'une certaine manière avec les morsures accrocheuses des premiers EPs desquels un titre comme l'ébouriffant 'Color Me Blood' pourrait être extrait. Enfin, plus encore que son prédécesseur, "Leather Terror" se confond totalement avec une bande originale de film. Le 'Opening Title' qui lance l'écoute, la progression dramatique qui le conduit jusqu'à ce final d'une infernale noirceur ainsi que la façon dont toutes les pistes s'emboitent les unes aux autres à l'image de l'enchaînement diabolique entre 'Day Stalker' et 'Night Prowler', attestent de cette dimension furieusement cinématique.
Carpenter Brut a mis du temps pour concocter le deuxième volet de sa trilogie horrifique mais l'attente est récompensée par ce "Leather Terror" d'une sombre opulence dont on attend désormais la suite (et la fin) avec une impatience décuplée, la bave aux lèvres.