Après plusieurs expériences dans différents groupes, Gabriel Keller décide en 2019 de prendre son envol, bien décidé à exprimer sa sensibilité propre et ses émotions au travers d’une musique très personnelle. Projet solo ne signifiant en aucun cas solitaire, l’artiste s’est entouré pour sa première production de nombre de collaborateurs, aussi bien derrière le micro où il a confié le rôle d’interprètes mais également d’auteurs à quatre voix féminines de grande qualité, qu’à l’accompagnement instrumental et à la retranscription graphique très soignée de son univers.
Biberonné à la fois au rock des années 70 mais aussi à la (bonne) variété française, l’artiste nous propose en dix titres un savoureux patchwork de toutes ses influences, entre Clair et Obscur, entre pop progressive chatoyante et rock aux accents métalliques lorgnant vers Opeth, dévoilant ainsi les multiples facettes de sa personnalité musicale. La première partie de "Clair Obscur" nous emmène dans un univers souvent onirique, où les voix féminines sont accompagnées par un univers sonore évoluant entre acoustique intimiste et néo-prog. Après une première plage qui sonne comme l’ouverture d’un opéra prog-rock au cours de laquelle les instruments viennent successivement se superposer autour d’un thème central, la première référence qui vient ensuite aux oreilles ramène au projet de Steve Rothery, The Wishing Tree ('Time', 'Train to Resolution', 'Open Arms'). Une voix féminine emmène l'auditeur au long de mélodies subtiles et variées, soutenue par une instrumentation aux arrangements soignés qui laisse par moments place à quelques soli courts mais efficaces, avec un équilibre parfait entre les différents instruments et la voix tour à tour délicate et puissante d’Emi B. Le résultat est tout bonnement envoûtant.
La bascule entre les deux univers musicaux se fait sur une ‘Sonate au Clair Obscur’ qui débute comme un titre de Yann Tiersen, quatuor à cordes inclus, avant de basculer au bout de trois minutes vers des saillies métalliques prononcées, ponctuées d’exclamations féminines et de chœurs inquiétants. Cette deuxième partie d’album se révèle du coup plus complexe, présentant de nombreux changements de thèmes, des rythmiques torturées (magnifique travail à la batterie), de chants scandés, et peut être moins aisée d’approche de prime abord ('Nothing Human', 'Honey'), mais une écoute attentive permettra d’en révéler toutes les subtilités et d’en faire le parfait pendant de la première partie. Et pour signer un retour en eaux plus calmes, la galette se conclut par une 'Accalmie' de toute beauté, instrumental acoustique sautillant surplombé par des chœurs enchanteurs. Classieux.
Première œuvre à la fois très personnelle et fichtrement ambitieuse, "Clair Obscur" est un exemple ô combien réussi de patchwork musical qui touchera fatalement au cœur tout bon amateur de musique. Sa déclinaison en live sous la forme d’un trio acoustique (chant/guitare/violoncelle) n’est qu’une preuve supplémentaire de la richesse de son contenu. Tout bonnement indispensable.