La dark synth ou l'horrorsynth (appelez ça comme vous voulez) est une étiquette qui commence à faire peur. Car comme tous les (sous) genres qui deviennent à la mode, on ne compte plus les suiveurs qui se contentent de s'engouffrer dans la brèche qu'ils saturent très vite en recyclant sans imagination ce que le style en question a pu avoir de novateur ou de rafraichissant. N'est pas Carpenter Brut ou Perturbator qui veut !
Il serait ainsi tentant de condamner Draven au rang de ces (photo)copieurs plus ou moins inspirés. Il est vrai qu'il aligne comme des pinces à linge sur un fil tous les invariants obligés de cette synthwave vrombissante et ténébreuse : fuselage sonore surpuissant, nappes électro en mode turbo, ambiances sinistres et références aux films d'horreurs des années 70 et 80 et aux bandes originales qui les rythment. Rien de bien nouveau donc. Pourtant qu'il semble difficile de résister aux charmes aussi vénéneux que robotiques de "Abyssal Arcana", galop d'essai du Grec Deamien Raven.
L'homme se confond avec le personnage principal au centre du récit décliné par ces treize pistes se faufilant comme autant de boyaux dans les entrailles de Necropolis, cité horrifique et nocturne. Le nom du musicien évoque "La malédiction" de Richard Donner mais aussi "The Crow" d'Alex Proyas, lui-même inspiré du comics éponyme. Cette ville peuplée de créatures de la nuit s'inscrit elle aussi dans une longue lignée cinématographique de citadelles tentaculaires, du "Metropolis" de Fritz Lang au "Dark City" d'Alex Proyas (encore). Le tribut à John Carpenter se veut par ailleurs évident, influence il est vrai quasi obligée dans le genre, comme l'illustre l'ouverture de 'Cauchemar Noir' et ses relents tenaces de "Halloween". Cette cinéphilie gourmande explique en partie la sympathie ressentie à l'égard de ce projet mais ce n'est pas la seule.
Certainement trop long et répétitif, "Abyssal Arcana" n'en gronde pas moins d'une énergie lugubre et souterraine qui emporte tout sur son passage ('Silver Coffin'). Tel une brume morbide, l'album épand des atmosphères glaciales qui soulignent un tempo pulsatif ('Children Shouldn't Play With Dead Things'). Chœurs gothiques et breaks à foison dressent avec une grandiloquence macabre une cathédrale cyclopéenne ('BloodGod'). Mais à cette démesure baroque répondent un minimalisme hypnotique ('Demonic Incantation Blues') et une forme de beauté aussi envoûtante que convulsive ('Exsanguinated With A Drill'), le tout bouillonnant au fond d'un chaudron aussi tellurique que cataclysmique. Imaginant cet album à la manière d'une bande-son horrifique, Draven sait entraîner l'auditeur dans un tourbillon lugubre et frissonnant, ponctué de rares accalmies au milieu d'une déflagration sonore et sensorielle.
Quoiqu'un peu lassant sur la durée, "Abyssal Arcana" signe l'entrée tonitruante de Draven dans l'univers de la dark synth, chef d'orchestre d'un récit fracassant nourri au cinéma qui fait peur et aux bestioles qui prolifèrent dans la nuit.