Fort d'une dizaine d'albums forgés depuis vingt ans, Faun est une troupe majeure de la scène païenne et médiévale. Sa onzième offrande, sobrement mais judicieusement intitulée "Pagan", était attendue comme un Graal folk et celtique. Non parce qu'elle survient trois ans après un "Märchen & Mythen" certes toujours impeccable mais relativement décevant par rapport à "Midgard" (2016), son prédécesseur qui incarne le travail le plus abouti des Bavarois, mais surtout en raison des premiers extraits qui en ont été tirés, pour le moins prometteurs.
D'excellent augure, 'Baldur', 'Halloween', 'Galdra' qu'envoûte la présence chamanique de Lindy-Fay Hella (Wardruna) ou l'orageux 'Gwydrion' qui héberge lors d'une seconde partie étonnamment sombre et rageuse Christian Glanzmann et Alain Ackermann, respectivement chanteur et batteur d'Eluveitie pour un résultat très "metal", ont fait plus que mettre l'eau à la bouche. Ils annonçaient un retour à ce que les Allemands savent faire de mieux, l'inspiration au garde-à-vous et hissant haut les couleurs mystiques d'un Moyen-Âge obscur et dansant tout à la fois, enténébré par la sorcellerie et des rites venus du fond des temps.
Renouant avec la sève majestueuse de "Midgard", le seul défaut de "Pagan" est sans doute de démarrer trop fort par trois des titres déjà divulgués dont l'énorme - il faut bien l'avouer - 'Gwydion', qui placent d'emblée la barre très haut. Après cette entame du feu de dieu, l'intensité retombe fatalement un peu avec un enchaînement de pièces plus posées. Pourtant, à force d'en butiner le suc, celles-ci finissent par faire leur trou et il paraît en définitive bien difficile de résister au celtique 'Innisfree' qui vous évoque la truculence verdoyante de "L'homme tranquille" de John Ford ou aux pulsatifs 'Tamlin' et 'Neun Welten'.
Le chant dans la langue de Goethe distille toujours ce charme empreint d'une dureté romantique ('Lord Randal') tandis que Laura Fella confirme qu'elle est une recrue magnifique grâce à sa voix cristalline. Autour du maître de cérémonie et dernier membre historique Oliver Satyr, les musiciens manipulent des instruments traditionnels (vielle à roue, cornemuse, tambours...) qui dessinent ce décor folklorique et matérialisent cette époque lointaine où homme et nature cohabitaient, connectés par la magie. Fougueuse ('Baldur'), hypnotique ('Willow Tree') mais régentée par un pouls nocturne ('Ran'), la troisième partie de l'écoute illustre avec un élan forestier la manière dont Faun réussit à puiser dans le terreau de la vielle Europe pour offrir une musique qui se nourrit d'un humus ancestral tout en conservant une accroche très moderne.
Il en découle un album rafraichissant et salvateur, d'une pureté d'airain, dont les ténèbres obsédantes qu'il épand ne suffisent pas à en noircir l'énergie tourbillonnante comme une sarabande à travers de mystérieuses forêts peuplées de divinités obscures. A l'unisson d'un folklore ombreux et ensorcelant, boisé et rêveur, Faun délivre son meilleur album à ce jour aux côtés d'un "Midgard" avec lequel il partage une même force poétique et séculaire.