Il suffit parfois de quelques notes de piano, d’un texte à fleur de peau et d’une voix hors du commun pour faire chavirer le cœur du plus endurci des chroniqueurs. Comment mettre des mots sur la beauté ? Comment qualifier l’inqualifiable ? Comment réfréner ses larmes alors que, pour la cinquantième fois en quelques jours, Kaz Hawkins vous susurre à l’oreille : "Lipstick and cocaïne hurting my brain" ? Pourtant il faut l’écrire cette chronique, ne serait-ce que pour faire taire les cyniques et les incrédules pathologiques. Oui, la musique peut sauver des vies, même celles dont tout le monde se fout, celles des laissé(e)s pour compte, celles des enfants bafoués et humiliés, celles des femmes maltraitées. C’est ce que nous dit Kaz Hawkins avec "My Life And I", une compilation qui nous permet de (re)découvrir à quel point l’enfant de Belfast a sa place parmi les plus grandes chanteuses soul de l’histoire.
La biographie de Kaz Hawkins est un voyage au bout de l’enfer, du malheur et du sordide, dont même Ken Loach n’aurait pas osé écrire le scénario et auquel elle-seule ne semble pas étonnée d’avoir survécu. Violée par son oncle pendant toute son enfance, battue par son père qui ne voulait pas la croire, Kaz a tout vu, tout connu : la dépression, la drogue, l’automutilation, les tentatives de suicide, les internements psychiatriques, le placement de ses enfants en famille d’accueil… jusqu’au soir où un policier la découvre mourante, la gorge tranchée et rouée de coups par son conjoint. "Lipstick and cocaine hurting my brain… a uniformed man at the door said : come with me darlin, it’ll be okay...".
Aujourd’hui installée en France, Kaz Hawkins fait de son passé une force pour aider les autres et composer de la musique. Mais sa voix, elle, porte tous les stigmates de ses souffrances et son pouvoir émotionnel est absolument irrésistible. Les huit titres piano-voix de "My Life And I" sont des sommets de sensibilité et d’émotion, en particulier ‘Because You Love Me’, ‘Surviving’, ‘Don’t You Know’ et ‘Don’t Slip Away’ qui sont tout simplement beaux à pleurer.
Mais Kaz Hawkins est aussi une vraie chanteuse soul, dans la droite lignée d’Aretha Franklin (l’excellent ‘Shake’) et surtout d’Etta James, sa référence absolue, à laquelle elle rend un hommage poignant en reprenant ‘At Last’ et ‘Something’s Got A Hold On Me’. D’ailleurs, à travers les quelques reprises qui parsèment l’album, la chanteuse se révèle également une formidable interprète. Sa version blues de ‘Feeling Good’ (popularisé jadis par Nina Simone) est sans doute l’une des meilleures jamais enregistrées de ce grand classique.
Aussi à l’aise avec les chansons intimistes qu’avec le groove jouissif du rythm and blues (‘Believe With Me’, ’Drink With The Devil’, ‘Something’s Got A Hold On Me’), Kaz Hawkins est une vraie reine de la soul dont les performances vocales font des merveilles dans absolument tous les registres, du gospel (‘Pray’) au pop rock californien (la reprise de ‘Full Force Gale’ de Van Morrison).
Quel que soit le style abordé, la voix incroyable de Kaz Hawkins nous bouleverse et nous entraîne dans un tourbillon émotionnel irrésistible. Si vous ne devez écouter qu’un seul album de soul blues cette année, ruez-vous sur "My Life And I", vous n’en sortirez pas indemne. "Lipstick and cocaine, I won’t go back again."