Conjurer pourrait n’être qu’un groupe de sludge/post metal de plus. Il semble en effet cocher toutes les cases d’un doom patibulaire, énervé et tendu comme une hampe prête à cracher son venin. Voix d’une âpreté spéléologique, guitares trempées dans le mazout et ambiances tour à tour viciées ou plus aériennes enracinent de prime abord la musique ruminée par les Anglais dans cette fange épaisse. Pourtant, ceux-ci méritent mieux que cette catégorisation lapidaire.
Il y a quatre ans, "Mire" dévoilait déjà un potentiel qui débordait largement des cases dans lesquelles il était tentant d’enfermer ce premier album. Depuis, Conjurer s’est fait discret mais a tout de même été récupéré par le puissant Nuclear Blast, confirmant les promesses tant artistiques que commerciales décelées à cette époque déjà lointaine. "Pathos", son successeur, enfonce donc le clou. Il ne s’agit pas d’un disque aisé à appréhender ni même à déflorer. Le décrire se révèle ainsi difficile tant il brasse de multiples strates : sludge et post metal évidemment mais aussi death (pour ce riffing cendreux) et black metal (pour ses structures torturées).
Corollaire de sa forme pluridimensionnelle, l’opus ne livre pas son précieux suc avec facilité. Son écoute n’a rien de distrayant et impose d’être attentif, immergé même dans cette masse sonore, magma d’une noirceur aussi visqueuse que malsaine. Une tension sourde irrigue tout du long un album gonflé d’une force viscérale, véritable concentré d’une désolation crasseuse, d’une décrépitude inexorable. Heureusement, les Anglais savent aérer leur matériau, ici par de timides percées atmosphériques (‘Those Years, Condemned’), là par un chant clair fébrile (‘All You Will Remember’).
Mais entre un ‘Cracks In The Pyre’ qui fore les boyaux d’un funeral doom étouffant quoique désarticulé par une complexité que ne renierait pas Mastodon, ou un ‘Basilisk’ grimé des couleurs mortifères d’un black metal tout aussi halluciné bien qu'éclairé de faibles et belles lueurs, c’est peu dire que "Pathos" plonge corps et âme dans les arcanes d’une folie labyrinthique où chaque titre ne suit jamais la route qui semble lui être promise. Et plus il avance, progresse dans d’insondables entrailles, plus ce second méfait abandonne les nuances accrochées à une première partie rouée mais zébrée de fugaces puits de lumière pour s’abîmer dans une fin de parcours radicale dans sa noirceur brutale qui jamais ne respire.
Déconseillé aux oreilles effrayées par les dédales suffocants, "Pathos" confirme les aptitudes de Conjurer pour un sludge doom protéiforme.