Lars Nedland, plus connu sous le nom de Lazare, demeure une des plus belles voix de la chapelle black metal, de celles qui procurent des frissons dès qu'elles surgissent. Reconnaissable entre mille, son chant clair illumine depuis toujours les albums de Solefald et depuis une vingtaine d'années ceux de Borknagar. L'an dernier, il nous a encore enchantés avec White Void, groupe qu'il a formé avec deux autres Norvégiens chevronnés, le batteur Tobias Solbakk (Ihsahn, In Vain) et le guitariste Jostein Thomassen, l'un de ses compères au sein de Borknagar. "Anti", le fruit de cette union, ne nouait aucun lien avec l'art noir, façonnant au contraire une musique tout simplement (hard) rock et parfois vaguement progressive.
Comme l'annoncent à la fois son nom et le titre de son galop d'essai, Black Void est conçu comme son exact contraire, reflet inversé d'un projet lumineux auquel il oppose noirceur épidermique et férocité tendue comme une hampe gonflée d'une sève sale et venimeuse. Le trio de White Void est reformé mais l'approche très punk retenue freine naturellement les geysers de beauté que sont les interventions de Lazare en voix claire. Poinçonnant avec parcimonie (mais à bon escient) le menu de "Antithesis", celles-ci brillent donc par leur rareté. Trop rares, au point de les guetter comme une balise salvatrice, comme une bouée à laquelle on s'agrippe pour ne pas être totalement avalé par les abysses. Le registre hargneux réussit moins au chanteur ou du moins n'a pas notre préférence, expliquant pourquoi cet effort déçoit tout d'abord, concentré de violence abrasive qui n'est que rapidité fiévreuse ('Nihil') et agressivité cataclysmique.
Pourtant, peu à peu, à force de butiner son obscure intimité, "Antithesis" se révèle au bout du compte dans toute sa force noire que caressent à intervalles irréguliers des lueurs de grâce. Dans l'œuvre de Nietzsche et d'Albert Camus, Black Void puise le combustible bouillonnant d'une négativité aussi haineuse que souterraine dont cet ensemble trapu de saillies survoltées ouvre les vannes torrentielles. Grondant certes d'une énergie furieuse, cet album conserve toutefois une production limpide et certainement ni brouillonne ni cradingue. De même, les mélodies que vidangent notamment les éruptions cristallines du chanteur ('Void') ne sont pas éconduites de cette masse décapante en définitive difficile à étiqueter et dont le corollaire sera peut-être un public peu aisé à capter. Ni vraiment punk ni black metal, parfois incandescent mais noirci au charbon, "Antithesis" est néanmoins un peu tout cela à la fois, brouet percutant et plus soigné qu'il n'y paraît.
Leurs géniteurs étant ce qu'ils sont, musiciens exigeants et trop doués pour se contenter d'un album bas du front, ces compos trahissent une écriture d'orfèvre ne laissant aucune place à l'approximation, empilant les strates d'un metal noir déchaîné ('Reject Everything') sur une couche accrocheuse et sauvagement rock'n'roll ('No Right, No Wrong'). Si Hoest (Taake) encrasse un 'Death To Morality' implacable, nous retiendrons avant tout la participation de Sakis Tolis sur 'Dadaist Disguist'. Comme Lazare l'a fait il y a peu avec le titre 'Holy Mountain' des Grecs qu'il a coloré d'une emphase glaciale et épique à la Borknagar, Sakis imprègne ce morceau d'une influence Rotting Christ évidente pour un résultat aussi efficace que superbe. Mais il n'en demeure pas moins que ce sont les morsures lumineuses de Lazare qui tout du long nous enchantent et propulsent cet essai vers des sommets de puissance et de bonheur. Leur rareté ne les rend que plus précieuses.
Entre black metal et punk, "Antithesis" est un disque étonnant dont l'âpreté se conjugue à une écriture savamment élaborée, reflet en négatif du "Anti" de White Void auquel il s'additionne pour former un ensemble plus complémentaire qu'il n'y parait, comme les deux faces d'une même pièce.