A tous les inconditionnels du Marillion première époque, pour lesquels l'histoire musicale du groupe s'est terminée avec le départ de son poisson pilote, je dirais passez votre chemin, cet album n'est pas pour vous. Aux autres, je conseille d'ouvrir bien grandes leurs oreilles, car il est certain qu'un blind-test effectué avec ce quatrième opus des norvégiens de Gazpacho en induirait plus d'un en erreur, citant à tort le nouvel album de la bande à Steve Hogarth.
Résumons donc : après avoir commencé la diffusion de sa musique sur le Web, Gazpacho est devenu avec son troisième album le protégé de Marillion. A ce titre, le groupe a participé à la convention Marillion, a ouvert les concerts de Marillion, et ce quatrième album semble tout droit sorti des dernières sessions d'enregistrement du quintet britannique, période Marbles.
A la batterie, R.R. Johansen nous propose un jeu tout en finesse digne du meilleur Ian Mosley, ajoutant moult subtilités aux détours d'une frappe bien en place. Aux claviers, T. Andersen semble avoir repris les "disquettes" de Mark Kelly, tandis que J.A. Vilbo s'ingénie à reproduire les même sonorités que Steve Rothery, période 90-2000. Enfin, il est impossible de passer sous silence l'analogie plus que troublante de la voix en or de J.H. Ohme avec Steve Hogarth, finissant ainsi de semer le doute dans l'esprit de l'auditeur non averti.
Mais loin d'être uniquement un clone de Marillion, Gazpacho développe ses propres ambiances, sombres et mélancoliques à souhait, dans un mid-tempo permanent maîtrisé à merveille, avec un talent incontestable pour créer des mélodies magiques.
Le premier titre est ainsi une merveille de progression lente sur 17 minutes, qui pourrait rappeler "Neverland" (sur Marbles) que l'on aurait mixé avec "This is the 21st Century" (sur Anoraknophobia) pour le côté répétitif. Les claviers créent l'ambiance, batterie et guitares s'occupent de la rythmique et de ses enluminures, tandis que la voix de J.H. Ohme se charge du reste. Toutefois, Gazpacho possédant sa propre identité, c'est un étonnant break violon/piano qui viendra enchanter l'auditeur, avant de reprendre la tonalité principale du titre et le terminer en une superposition sonore furieuse toute en retenue (ces derniers qualificatifs peuvent paraître ambivalents, mais résument bien l'impression ressentie !).
Le violon de M. Kromer, se pose également en instrument indispensable à la musique de Gazpacho. Qu'il soit poignant dans la plupart des intermèdes servant à lier les différentes parties du concept, ou encore à connotation celtique dans le final de "Upside Down", ses interventions apportent une véritable valeur ajoutée à la tonalité générale de l'album.
Concept album dont le propos est centré sur les frontières entre rêve et réalité, "Night" propose tout au long de ses 53 minutes une unité de ton étonnante, fruit probablement de longues heures de travail et de retouche, signe d'une maturité qui ne demandait qu'à éclater. Et si je voulais paraphraser le concept général, je dirais que son écoute entraînera l'auditeur dans un rêve éveillé qui se termine en douceur dans un final piano/violon d'obédience classique délicieuse. Indispensable !