Les derniers pionniers légendaires de l’histoire du hard rock encore de ce monde ne sont plus légion. Pour avoir traversé cinq décennies aux côtés de pointures du genre, Joe Lynn Turner est de ceux-là. Rainbow, Malmsteen et Deep Purple sont des noms qui parlent. Et même si ceux de Brazen Abbot, de Mother’s Army, ou plus récemment de Sunstorm, sont moins marquants, l’homme y a pourtant poussé la ritournelle. Ce boulimique de travail a connu également de nombreuses escapades en solitaire. "Belly Of The Beast", sa onzième salve, vient nous rendre visite en cet été indien qui n’en finit pas.
La magnifique pochette de l’œuvre est d’une noirceur surprenante, presque sinistre. En parcourant les onze titres qui la composent, on comprend mieux l’aura maléfique qu’elle diffuse. Jamais le frontman n’aura interprété des textes aussi sombres, pas plus qu’il n’a posé un jour sa voix sur des compositions aussi lourdes et directes. Terminé le hard rock mélodique propre sur lui, Joe Lynn Turner s’est ici réinventé, l’évolution physique de l’Américain allant de pair avec son choix stylistique. Dévoilant aux yeux du monde son crâne laissé chauve depuis ses 14 ans du fait d’une alopécie, il ressemble aujourd’hui à 71 ans à un pharaon de l’ancienne Egypte.
Cet album est né de sa rencontre fortuite avec Peter Tägtgren, le fondateur d’Hypocrisy et de Pain. Du death metal mélodique et du metal industriel donc. On saisit maintenant mieux le côté musclé des propos. Evoquant le concept de Grande Réinitialisation, de nouvel ordre planétaire, Joe Lynn Turner y fustige cette idéologie qui serait imposée par les plus grands de ce monde. En interview, il assène avec force conviction que nous sommes piégés par le système dans le ventre de la Bête et s’étonne de voir disparaitre les rebelles. Bref, l’éternel combat entre le bien et le mal (rien de bien nouveau sous le soleil), mais l’important est ailleurs.
Ce qu’il convient plutôt de retenir c’est cette voix qui n’a presque pas changé si ce n’est le petit côté sale et granuleux qui sied parfaitement à cet opus ainsi que l’énergie et l’émotion qui s'en dégage. On retrouve aussi ce Heavy metal des 80’s boosté par une production d’aujourd’hui en béton armé et ce soin apporté aux mélodies servies en pâture aux fans des anciens groupes de Joe Lynn Turner.
De nombreuses pépites parsèment cet opus. Avec le titre éponyme vous êtes d’entrée pris sous un tir de barrage apocalyptique avec un travail phénoménal sur les guitares et les mélodies. Le rythme lancinant de 'Tortured Soul', dans lequel on entendrait presque Iron Maiden sur les chœurs enveloppant un refrain des plus torturés ou le riff lançant 'Rise Up' digne de Rammstein, sont particulièrement réussis. Enfin citons l’énorme 'Desire', titre bien lourd écartelé entre Black Sabbath, Rainbow et une fois de plus Rammstein ou encore les mélodieux 'Don’t Fear The Dark' et 'Living The Dream', ainsi que la ballade épique 'Dark Night Of Soul', trois uniques respirations de l'album.
Joe Lynn Turner vient de réussir un retour aux affaires surprenant et tonitruant. Ceux qui pensaient que le bonhomme avait donné tout ce qu’il avait en réserve en seront pour leur frais. Joe Lynn Turner grogne encore, et il s’avère sacrément féroce.