L'acteur Jean-Pierre Kalfon que nous avons tous apprécié dans des rôles de personnages interlopes au cinéma ("Mille Milliards de Dollars" d'Henri Verneuil, "Canicule" d'Yves Boisset, etc.) avait toujours rêvé de devenir musicien. Après avoir écumé une pléthore de groupes éphémères dans les années 70 (parfois sous son nom) et collaboré avec de nombreux musiciens de renom (Jacques Higelin, Bob Marley), le comédien avait sorti sur le tard en 1993 un premier album "Black Minestrone" qui n'avait pas trouvé son public et qui n'était selon les mots de son propre auteur qu''une démo mal arrangée''. 29 ans plus tard, alors que cet enregistrement aurait pu rester lettre morte, Jean-Pierre Kalfon revient avec un nouvel album dont le nom spirituel sent autant le soufre que le coton, "Méfistofélange".
Dès les premières secondes, l'auditeur est pris à la gorge, une ambiance sombre, nocturne lui permet de prendre place et d'écouter le cinéma sonore personnel de Jean-Pierre Kalfon. Le contenu de ce "Méfitstofélange" se révèle assez riche, explorant différentes directions tout en conservant une cohésion d'ensemble : folk ('Le Train Fantôme'), rock'n'roll ('Camions Gypsies Rock And Roll Band', qui datait de l'album de 1993), rock nerveux ('Chope Le Cash', 'Retour Solo', 'Championne'), funk ('Costards'), ballades ('Plus d'États D’Âme', 'N'est-Elle Pas Belle'). Véritable sommet de l'album, le morceau éponyme se révèle rebelle à toute étiquette. Généreux, l'artiste accorde à ses musiciens un peu d'espace de jeu (solo de guitare sur 'Méfistofélange', 'Noire La Nuit' ou 'Plus d'États D’Âme' ainsi que la présence des saxophones qui laisse planer un esprit de big bang funky). Seul écueil, garni de quatorze titres, l'album aurait gagné à être un peu plus digeste ('Sex Toy' et 'Plus d'États D’Âme' auraient pu sauter sans causer de trouble).
A 84 ans, Jean-Pierre Kalfon n'a pas perdu sa voix, très particulière et identifiable, qui a longtemps exercé sur nos oreilles de cinéphiles l'effet d'une menace flegmatique. Rocailleuse mais légèrement traînante, elle se fait ici paradoxalement hypnotique, chaleureuse, invitant l'auditeur à écouter les histoires extraordinaires d'un mec à qui on ne la fait pas. Ses interprétations vocales sont soutenues par une créature féminine qui apporte également un peu de chaleur aux compositions. Le ton des paroles est tour à tour socialement engagé ('Train Fantôme', 'Noire La Nuit'), mélancolique ('Sex Toy'), caustique ('Costards' où le chanteur s'adresse à lui-même une litanie d'insultes fleuries) rappelant que Jean-Pierre Kalfon a toujours eu une plume acérée ('L'Amour A La Gomme' qui parlait des préservatifs ou 'Chanson Hebdomadaire' qui critiquait les journaux people en pleine époque yéyé).
En 2022, cet album inespéré de Jean-Pierre Kalfon est un véritable rayon de ténèbres et de lumière. Alors que le projet semblait perdu d'avance sur le papier, "Méfistofélange" se révèle envoûtant, le chanteur-comédien nous emmenant en promenade dans sa riche filmographie sonore. Un album qu'on se surprend à réécouter pour mieux s'imprégner du message d'humanité porté par son auteur.