Ça y est. Polyphia est validé. Après avoir essuyé les critiques des puristes de la guitare qui lui ont reproché tour à tour de jouer une musique trop froide, d’être incapable d’improviser sur scène, d’être trop influencé par le rap et le hip hop, le groupe de Dallas est validé par le maître Steve Vai en personne, qui vient poser un solo de l’espace sur ‘Ego Death’, dernier morceau du nouvel album des Américains, “Remember That You Will Die”. Le clip a fait l’effet d’une bombe dans le petit monde des guitaristes, à tel point que les boomers intégristes sont sérieusement en train de réviser leur jugement sur les petits jeunes de Polyphia. Si, à l’écoute de l’album, le but du groupe semble bel et bien de réconcilier les anciens et les modernes, le pari n’est pourtant pas vraiment réussi.
Certes, la cause est entendue, ‘Ego Death’ est une vraie pépite. La rencontre entre le jeu percussif et slappé de l’impressionnant Tim Henson et le toucher divin du grand Steve Vai fonctionne à merveille et fait de ce titre hors norme, soutenu par le groove irrésistible de la section rythmique de Polyphia, un très grand morceau de guitare instrumentale, et sans doute un vrai tournant musical dans le monde fermé des amateurs de guitare. Mais, pris dans sa globalité, “Remember That You Will Die” peine vraiment à emporter l’adhésion et, pour tout dire, est un album très inégal et assez énervant.
Polyphia, c’est d’abord et avant tout un collectif de petits prodiges, dont chaque membre a digéré toutes les techniques possibles pour maîtriser à la perfection leurs instruments respectifs. Même s’ils n’inventent rien par rapport aux précurseurs du metal instrumental moderne, et que la filiation avec Plini (l’excellent ‘Reverie’) et Animals As Leaders (l’énorme ‘The Audacity’) est évidente, ils sont tellement doués que tous les morceaux instrumentaux de “Remember That You Will Die” sont un vrai régal. Qu’ils soient influencés par le flamenco (‘Playing God’), le jazz (‘Genesis’) ou le hip hop (‘Neurotica’), tous, à l’exception notable du dispensable ‘All Falls Apart’, sont en mesure de rivaliser haut la main avec ceux de leurs mentors. Alors pourquoi diable se sentir obligé de rajouter du chant sur cinq titres sur les douze que comporte l’album ?
Car oui, c’est bien cela qui énerve vraiment à l’écoute de “Remember That You Will Die”. Le titre ‘Chimera’ en est l’exemple parfait. Avec son mélange novateur de flamenco et de hip hop, ce morceau a tout pour être génial, avant qu’il ne soit massacré aux deux tiers par l’intervention du rappeur Lil West et son chant filtré par un autotune insupportable. Et que dire des insipides interventions chantées sur ‘ABC’, ‘Memento Mori’ et ‘Fuck Around And Find Out’, où les invités issus du monde du rap et du hip hop se succèdent sans rien apporter aux parties instrumentales du groupe qui, elles, restent toujours impressionnantes de maîtrise. Seul Chino Moreno, échappé de Deftones, s’en sort avec les honneurs sur le très pop ‘Bloodbath’, sans toutefois que son chant ne soit non plus indispensable à la musicalité du titre.
Dès lors, le sentiment de gâchis l’emporte sur le plaisir éprouvé à l’écoute du jeu dantesque de ces fabuleux musiciens. A tel point que “Remember That You Will Die” est le parfait contre-exemple de l’album sur lequel le chant n’apporte strictement rien. Bien sûr, inutile d’être particulièrement éclairé pour comprendre que la volonté de Polyphia est d’attirer les plus jeunes, tout en faisant adhérer les plus vieux à la modernité de leur approche musicale. Même si l’intention est louable, elle reste un numéro d’équilibriste que le groupe ne réussit pas cette fois-ci. Peut-être la prochaine fois, qui sait ? Avec des surdoués pareils, rien n’est impossible.