OPHE: Somnium Nocte Mendaciis (BLACK METAL) : avis / chronique à lire sur Music Waves

A l'ombre inquiétante de Demande à la poussière et d'Område prolifère le jardin secret de Bargnatt XIX qu'il cultive en solitaire et qui répond au nom étrange de Ophe. Etrange est le qualificatif qui colle à la peau de ce projet qui se complait dans le bizarre et l'inconnu. Etrangeté d'un nom donc mais aussi de titres d'albums en latin. Etrangeté toujours de visuels qui questionnent, interrogent plus qu'ils ne fournissent de réponses. Celui qui habille "Somnium Nocte Mendaciis" semble représenter une fente à moins qu'il ne s'agisse d'une plaie, d'une cicatrice.

Etrangeté enfin d'un matériau sonore qui lui aussi se révèle propice à toutes les interprétations, à toutes les visions. C'est ce qui rend la musique ruminée par l'unique maître des lieux si fascinante, si perturbante aussi. Si "Litteras Ad Tristia Maestrum Solitude" arpentait un genre qui n'existe pas encore, son successeur n'offre guère plus de balises auxquelles s'accrocher. Encore une fois, les repères manquent pour définir un maelström aux allures de pandémonium orgiaque où fusionnent tellement d'influences et de miasmes qu'il paraît vain de chercher à les décrire en détail. Une chose est certaine toutefois, Bargnatt ne va pas mieux. Comment cela pourrait-il être le cas quand on est capable d'enfanter une telle œuvre dont l'écoute n'a rien d'une distraction, effroyable cauchemar, étouffant dans sa démesure hallucinée.

Amorcée par une intro néanmoins (et déjà) rongée par des effluves ambient qui suintent une étrangeté (encore) menaçante, cette seconde exploration plonge d'emblée l'auditeur dans la démence la plus absolue. Durant douze minutes, 'Odalisk Incursio Sub Methaqualone' n'est que bruits, hurlements, émotions concassées, brutales éruptions de violence en un paysage hideux comme désossé. Aucune lumière ni bouée auxquelles s'agripper pour échapper à ce torrent fiévreux, à part, peut-être, cette rythmique métronomique, seule lueur familière dans cet océan aliéné.

Plus conventionnel (tout est relatif) se veut heureusement 'Squirting Cadaveribus', qui racle les boyaux d'un post black metal que le chant maladif de Bargnatt XIX corrode cependant d'une lèpre contaminatrice. En réalité, tout du long, "Somnium Nocte Mendaciis" nous égare, semblant par moments vouloir nous charmer, nous endormir le temps du (faussement) rêveur 'Decem Vicibus II', pour finalement mieux nous happer ensuite entre ce 'Partum Chimerae' perturbant, le court et vicié 'Noctis Ames', gonflé d'une haine bruitiste ou un 'Flores Vere A Peccatis', strié d'émanations noires. Morcelée voire déconstruite et ne répondant à aucune accroche, chaque plainte échappe aux constructions habituelles, suivant une progression écorchée, meurtrie dans sa chair dont seul leur créateur possède peut-être la clé (ou non).

On devine un ouvrage enfanté dans la douleur et qui appelle une pénétration toute aussi pénible et difficile en cela que les limites de l'audible sont repoussées, jusqu'au stade terminal d'un cancer sonore qui gangrène tout ce qui l'entoure, dévore toute trace de vie. Ophe demeure une énigme, démiurge d'un art protéiforme et insaisissable qui, selon la formule consacrée, ne peut laisser indifférent.

OPHE

SOMNIUM NOCTE MENDACIIS

MY KINGDOM MUSIC

BLACK METAL