On ne présente plus André Manoukian, jury emblématique du télé-crochet "Nouvelle Star", découvreur de talents et réputé pour ses pensées philosophico-musicales. En dehors de cette lumière médiatique, André est aussi un amoureux et un défenseur du jazz qu'il soit dit classique ou historique. Si cette facette est moins connue du grand public, le musicien a acquis depuis des années une légitimité qui ne souffre d'aucune faille, forte d'une discographie solide. "Anouch" en est le dernier-né et revêt un caractère très spécial pour André Manoukian. En effet, cet album évoque l'histoire de sa grand-mère, qui a quitté l'Arménie en 1915 pour échapper à la déportation, en reconstituant musicalement ce parcours pour sa survie. Cette histoire, qui a plus de cent ans, trouve un écho particulier dans l'actualité récente sans que le musicien l'ait recherché totalement consciemment... ou pas, puisque André avait déjà évoqué le sort des apatrides dans un précédent disque éponyme.
Sur ces bases jazz qui lui sont si chères et notamment le piano, socle instrumental indispensable qui est le prolongement de l'artiste, André Manoukian pousse ses limites dans ses retranchements en ajoutant à sa musique des touches orientales et hispaniques qui chacune évoquent les étapes du périples de son aïeule. Le disque revêt donc autant un aspect historique qu'une invitation au voyage et à l'ouverture d'esprit. Loin d'être larmoyant, l'album se veut plutôt optimiste, peut-être à l'image de cette grand-mère qu'il n'a que très peu connue. 'Soufi Dance' par exemple évoque la danse traditionnelle persane qui nous entraîne dans une forme de tourbillon musical appelant à la méditation. 'L'Ange à la Fenêtre' rappelle les aventures de Corto Maltese à Venise.
Les touches jazz se marient ainsi de façon parfois surprenante et souvent avec une certaine gravité principalement dans 'Flamenca' qui pourrait être la bande-son d'un film d'aventure. La force de cet "Anouch" réside dans sa capacité à évoquer des images par la seule musique et ses mouvements, sans aucune parole. Quelques chœurs viennent par ci par là l'illustrer sans pour autant servir de guide à l'auditeur, totalement libre pour imaginer et mettre son propre ressenti à l'histoire contée. André Manoukian livre aussi des morceaux plus émotionnels comme dans les pudiques 'Before Beethov', plus classique, ou 'Anouch', loin de l'image médiatique cultivée par le personnage (ou tel qu'on voudrait nous le montrer).
Conçu comme des photographies des étapes de la vie de sa grand-mère, "Anouch" est un disque d'une pudeur qui honore son compositeur, sans trop en faire donc. Il y a mis son cœur et sa science en proposant une fusion jazz world plutôt réussie là où d'autres en auraient fait des tonnes dans le pathos. "Anouch" est également attachant et engagé par ce passé encore plus d'actualité aujourd'hui.