Honnêtement et sans aller jusqu'à dire que nous l'avions oublié, le fait est que My Sleeping Karma commençait à devenir un (trop) lointain souvenir, n'ayant plus rien enfanté depuis sept ans et un "Moksha" que beaucoup considèrent comme la pierre angulaire de sa discographie. Mais alors que les fondations de son successeur sont posées dès 2017, le groupe se voit contraint par des évènements dramatiques de tout arrêter. Discret, il communique peu sur ce qu'il doit affronter mais la situation mêlant maladie et mort est suffisamment grave pour que la question de son avenir soit évoquée.
Que les Allemands soient parvenus à bout de ce sixième album tient à la fois du soulagement et de la bénédiction. Soulagement car "Atma" résonne pour ses auteurs comme une victoire sur le destin, sur la nuit qui a enfin fini par s'éloigner. Bénédiction parce que l'opus est une merveille d'exécution comme d'écriture dont on se dit qu'il aurait être regrettable que la tragédie nous prive de son existence. Mais sans les dures épreuves vécues, aurait-il sonné de la même manière ? Il est évident que non. Il aurait été différent, meilleur peut-être. Ou pas. Assurément, la noirceur qui l'enténèbre aurait été moins marquée voire inexistante.
Les drames que My Sleeping Karma s'est vu obligé d'affronter lui commandent ainsi son travail le plus sombre, sans pour autant s'abîmer dans la dépression ni dans une affliction exagérée, même si une sourde mélancolie imprègne plus que de coutume des compositions d'une gravité inédite. Le quatuor n'a pas renoncé à son identité reconnaissable entre mille tant dans la forme (un rock instrumental aérien presque insaisissable dans sa beauté diaphane) que dans le fond (la philosophie et la mythologie hindouiste et bouddhiste pour faire court) mais on perçoit tout du long une tension à laquelle il ne nous avait pas habitués et à laquelle participe un menu à la fois plus trapu et clairement envisagé comme une progression dont chaque pièce constitue une étape dans un périple intérieur.
Emprunté à la philosophie indienne, Atma (ou Atman) est un mot sanskrit qui désigne le "soi" ou l'essence des individus en opposition à l'ego et à l'incarnation. A travers ce concept, le groupe a souhaité brosser une histoire de l'humanité d'un point de vue spirituel qui la conduit vers l'harmonie, libérée de sa gangue mortifère que symbolise tout un arsenal égoïste et violent (la guerre, la haine...). L'album suit ce glissement de l'ombre à la lumière, ce qui lui dicte son lent cheminement instrumental, profondément mélancolique au départ ('Maya Shakti'), lumineux et apaisé à l'arrivée ('Ananda').
Ainsi, de par sa construction évolutive dans ses sonorités comme dans ses émotions, "Atma" se doit d'être abordé dans son entièreté, voyage introspectif d'une bouleversante pureté. Sa grande force réside dans la manière dont ses créateurs sont parvenus à couler une certaine noirceur dans le creuset de leur post rock pulsatif et éthéré, à extraire de la douleur une essence miraculeusement positive. Les quatre musiciens y apparaissent au diapason de leur style unique et à l'unisson d'une beauté immersive, à la fois toujours aussi pointilliste dans sa douceur et enveloppante dans sa puissance dramatique.
Lourd et stratosphérique, grondant depuis ses arcanes d'une sève vivifiante, "Atma" conte la lente échappée d'une chrysalide crouteuse vers une sérénité enfin atteinte, œuvre éminemment cathartique dont on espère désormais que ses auteurs en aient enfin tourné la page pour aborder un futur d'une façon plus paisible. L'avenir nous le dira...