Comme beaucoup d'albums publiés récemment, "Gnosis" a été enfanté durant la pandémie qui a ankylosé la planète. Et comme beaucoup de groupes, Russian Circles n'a pas échappé aux doutes et à la mélancolie que cette période aussi confuse que troublée a imposés. La musique gravée par le trio de l'Illinois n'étant pas réputée pour son expression joyeuse sinon légère, il y avait donc fort à parier que les conditions qui ont présidé à la création de ce huitième opus nourriraient encore davantage la noirceur orageuse inhérente à ce post-metal puissamment émotionnel. Dont acte.
Mieux, jamais les Américains n'ont affiché une telle colère, une telle envie d'en découdre, comme une réponse face à une situation inconfortable propice à une remise en question évidemment cathartique. Il en découle un effort brut(al) et austère, à l'image d'un écrin visuel dont l'épure grisâtre invite à une douloureuse introspection. "Gnosis" frappe tout d'abord par son caractère extrêmement massif qu'irriguent les riffs teigneux de Mike Sullivan, épais comme des câbles à haute tension. Ainsi, 'Tupilak' nous enferre d'emblée par sa lourdeur cataclysmique à laquelle participe la rythmique idoine. La seconde partie du morceau sonne en cela à la manière d'un Léviathan plombé et tumultueux avant de mourir dans un océan de beauté tendue et stratosphérique.
L'énergique 'Conduit', 'Vlastimil' que secoue un pouls presque black metal et plus encore 'Betrayal' resserrent encore un peu plus cet étau sévère qu'aucune lumière ne semble vouloir polir. Les trois musiciens y apparaissent à l'unisson d'un désespoir robuste et sans affèterie, imposant le sentiment d'aborder une œuvre agressive et dépourvue de finesse. Celle-ci n'est pourtant pas éconduite d'un menu certes bourru, puissant comme une forteresse mentale que fissurent par moments une timide douceur en même temps qu'une sourde fragilité.
Si la délicatesse pointilliste de 'Gnosis' bataille avec une dureté paroxysmique culminant lors d'une fin de parcours cousue dans une force aussi trapue que foudroyante, 'O Braonain' étonne par ses effluves rêveurs, courte respiration au milieu de cette marée noire que stoppe néanmoins le terminal 'Bloom', conclusion atmosphérique dont les atours intimistes ne l'exonèrent pas d'une mélancolie pulsative et embuée, manière cependant de clore cet épisode sur une note chargée d'un pâle espoir. L'horizon se dégage et un avenir peut-être plus clément s'annonce.
Déchiré entre obscurité brutale et beauté grondante, "Gnosis" dévoile un Russian Circles au diapason d'un post rock douloureux aux allures de grand huit émotionnel.