Après "Tommy" de The Who et "The lamb lies down on Broadway" de Genesis, "The Wall" est le troisième d'une trilogie qui a remué les seventies. Sortis à cinq ans d'intervalles, cumulant des points communs dans leurs scénarios, et transcendant chacun un délire personnel d'un membre du groupe, ces trois double-albums sont incontournables.
"The Wall" fut adulé, puis décrié par ceux qui y voyaient une œuvre pompeuse et égoïste. Schéma simpliste et opportuniste. "The Wall" fut écrit en 1979, année où Pink Floyd symbolise à lui seul la crise du progressif : dissolution du groupe et perte d'inspiration. Des quatre, Waters est à la fois le dernier espoir (il est le seul à composer encore) et la pire des menaces : la mégalomanie le guette.
L'album aurait pu ne jamais sortir sous le nom du groupe. Mais cette année-là, les Pink Floyd apprennent que leur fortune a été perdue par leur chargé d'affaires. Waters offre la solution valable en proposant de sortir un disque. Il vient d'écrire deux scénarios, et ses trois collègues choisissent "The Wall" (l'autre deviendra le premier album solo de Waters : "The pros and cons of hitch-hiking"). La tâche est impressionnante et passionnante. David Gilmour accepte de s'y investir, et il n'y a guère que Wright, en froid avec Waters pour avancer à reculons dans les studios.
L'histoire est celle de Pink, jeune chanteur qui symbolise en fait Waters lui-même. Sa carrière avance et le star-system le dévore et détruit son mental : mariage raté, fans psychopathes. A cela s'ajoute l'enfance triste de Waters : un père mort au combat avant sa naissance, une mère abusive, et un système scolaire tyrannique. Tout crée une sorte de mur entre Pink/Waters et le reste du monde, et il rêve de voir ce mur s'effondrer.
Bien qu'il intègre quelques éléments extérieurs (des allusions au destin tragique de Syd Barrett, une critique des dictatures et de la violence des médias...), l'aspect autobiographique est évident, mais il ne dessert en rien l'album. Bien au contraire, Waters a vraiment mis tout son cœur et toute son âme dans ce disque qui n'a rien volé de son succès. Toute cette histoire dingue tient musicalement en place, les chansons s'enchaînent avec fluidité. On y croise du poétique ("Nobody Home"), du hard ("In the Flesh", titanesque ouverture), du planant typiquement floydien ("Comfortably Numb", l'un des meilleurs morceaux de toute l'histoire du groupe, et qui fut composé par Gilmour)... Le disque finit par "the Trial", un baroque édifice musical aux accents de glamour symphonique. Ce morceaux extraordinaire doit beaucoup au chef d'orchestre Michael Kamen, un génie contemporain qui fit de l'or de tout ce qu'il a touché.
"The Wall" n'est en rien le monument d'orgueil que certains ont voulu laisser croire. Si Waters est incontestablement le capitaine qui a sabordé le navire Pink Floyd, il signe ici un chef d'oeuvre incontournable pour tout amateur de rock.