Surprenante trajectoire que celle que suit Elder depuis maintenant seize ans. Au départ, il s'agit d'un pur groupe de stoner doom, la peau velue, le cuir épais et tanné. Mais plus les années passent et les rondelles avec (au nombre de six aujourd'hui) et plus les Américains désormais basés en Allemagne larguent les amarres de la musique de mammouth pour accoster des rivages franchement progressifs. A l'arrivée, il ne reste en vérité plus grand-chose du stoner robuste des débuts, si ce n'est peut-être cet humus psychédélique tapissant le socle de compositions toujours aussi épiques.
Certes, il y aura bien quelques puristes pour affirmer que Elder ne fait pas partie de leur cercle fermé. Pourtant, de la voix du guitariste Nick DiSalvo, plus limpide et émouvante que jamais, en passant par ces orgies de claviers que ne renierait pas le Yes des années 70, difficile de refuser au désormais quartet cette étiquette. Et c'est peu dire que "Innate Passage" enfonce encore le clou, insiste plus encore que "Omens" (2020) sur cet arôme évolutif.
Ce qui frappe à l'écoute de ce disque est tout d'abord sa grande pureté. Pureté d'une prise de son claire et chaleureuse qui laisse chaque instrument s'exprimer, bourgeonner, envahir l'espace, témoin l'épicentre de 'Endless Return' où basse et batterie impriment un tempo hypnotique. Pureté encore de ces cinq pièces dont la foisonnante richesse n'a d'égale que la fluidité de leur progression qui s'écoule avec une admirable délicatesse. Confortable, l'écoute se déroule dans une atmosphère feutrée que n'interdit cependant pas quelques traits parfois plus appuyés ('Merged In Dreams - Ne Plus Ultra'). Pureté enfin de ces instruments (chant compris) qui rivalisent de quiétude. Même les fûts sonnent avec une étonnante douceur paisible ('Coalescence') que soulignent d'onctueuses nappes de Mellotron.
Bien sûr, la durée des chansons (entre huit et quatorze minutes en moyenne) offre un cadre propice à une expression instrumentale qui éclot et fleurit en un bouquet de couleurs et fragrances mais jamais la virtuosité du groupe n'étouffe ni la beauté ni l'émotion d'une partition qui au contraire brille d'une trompeuse simplicité. Il en résulte une œuvre ensorcelante dont la féconde inspiration trouve dans l'inaugural 'Catastasis' la plus belle et pure synthèse, soit presque onze minutes de bonheur où lignes vocales fragiles, claviers aussi tendres que généreux, guitares tout à tour pointillistes ou racées et rythmique soyeuse fusionnent en un magma à la fois envoûtant et noueux.
"Innate Passage" s'impose comme l'album le plus progressif d'Elder. Comme un des plus orgasmiques aussi, ceci expliquant sans doute cela...