D'une certaine manière, le simple énoncé du pedigree des membres formant Forlesen devrait suffire à s'intéresser à lui ou du moins à éveiller la curiosité. Car enfin lorsqu'un groupe pioche ses musiciens aussi bien chez Lotus Thief (la chanteuse Bezaelith et le guitariste Petit Albert), Botanist (le muti-instrumentiste Ascalaphus) et Kayo Dot (le batteur Maleus), il ne peut décemment pas être mauvais. Surtout, il ne peut être qu'intriguant et talentueux, ceux qui sont familiers des forces en présence et de leur univers tant sonore que sensoriel n'ayant de toutes façons pas attendu ces quelques mots pour s'abîmer dans ce "Black Terrain" aussi passionnant qu'insaisissable. Quant aux autres, ils sont donc fortement invités à tenter la découverte.
D'une certaine manière, cette chronique pourrait s'arrêter là. Mais comme il faut bien en dire davantage, sachez déjà qu'à l'instar du matériau forgé par Lotus Thief, celui que façonne Forlesen ne s'explique pas davantage, il se ressent, se vit, véritable périple dans l'inconnu. Les mots manquent, paraissent sans saveur, échouent à décrire un art qui échappe aux étiquettes, à la confortable catégorisation. Est-ce du doom ? Du black metal ? De l'ambient ? Voire du progressif ? Le successeur du déjà étrange "Hierophant Violent" (2020) est un peu tout cela à la fois sans réellement s'arrimer à aucun genre en particulier.
Dans le doom, il puise certes ces guitares pesantes, son désespoir plombé mais le chant éthéré de Bezaelith bouscule ces puissants contreforts par sa poésie fantomatique (le grandiose 'Strega'). Le black metal quant à lui inspire à ce deuxième album le vertigineux 'Harrowed Earth' dont la sève brutale surprend au milieu de cette terre atmosphérique. Mais à mi-parcours, ces vocalises hurlées et ce rythme déchainé sont stoppés, se diluant dans un magma vaporeux quoique toujours sombre et plus déglingué encore. Ambient et drone irriguent un 'Saturnine' nébuleux dont les traits se durcissent néanmoins peu à peu tandis qu'un chant masculin vient rejoindre le fracas des guitares.
Enfin, de la musique progressive "Black Terrain" tire aussi bien le format épique des quatre pièces qui le structurent, la moitié d'entre elles voisinant avec les vingt minutes au compteur, que sa démarche évolutive ainsi que son sens de la progression. Celle-ci lui confère cette allure de bloc indivisible qui impose une écoute dans son immersive globalité. Mais en vérité, la meilleure façon de rendre hommage à cette offrande est encore de l'écouter, de se laisser emporter par son ressac d'émotions grondantes, par son maelström instrumental écartelé entre ombre et lumière, entre ténèbres charbonneuses et romantisme évanescent, entre force et fragilité.
Fidèles à cette inspiration puissante affranchie des limites et des étiquettes qui les commandent depuis toujours et quelle que soit la formation dans laquelle ils évoluent, les américains de Forlesen signent avec "Black Terrain" un album à leur image, sombre et foisonnant, riche et indescriptible mais passionnant de bout en bout.