Comme son nom l'indique, Thisquitearmy x Away réunit le guitariste canadien Eric Quach, prolifique explorateur de la musique drone, et le batteur de Voivod, Michel Langevin, lui-même artiste épris d'une grande liberté. Si de prime abord il n'y a rien en commun entre l'ambient hypnotique que tresse le premier et le thrash néanmoins protéiforme et évolutif auquel se rattache le second, la rencontre entre les deux musiciens semble pourtant naturelle comme le démontre le fruit de leurs ébats évidemment placés sous le signe de l'expérimentation, plus proche d'un happening sonore que d'une création conventionnelle.
En 2019, ils capturent un ensemble de sessions qui aboutissent aux albums "The Singularity Phase I et II". De ces mêmes séances d'enregistrement, Quach puise aujourd'hui "Machine Consciousness, Phase III', auxquelles il a greffé les lignes de basse de Charles Bussières et le trombone de Reüel Ordoñez qui l'accompagnent en live avec Thisquietarmy. Il en découle un magma dans la continuité des deux premières offrandes mais plus organique encore. En plus envoûtant surtout.
En dépit de sa nature spontanée qui lui impose son groove de jam tellurique et spatiale, le menu évite de se noyer dans une nasse nébuleuse, conservant au contraire une accroche rigoureuse même si ces longues pistes instrumentales sont bâties dans un substrat bourgeonnant presque immatériel. Ce qu'il doit beaucoup à la frappe de Michel Langevin qui insuffle une énergie tour à tour jazzy ('Epsilon 0000 1100') ou plus furieuse et que souligne une basse gourmande ('Zeta 00001110' et sa montée en puissance orgasmique). Les effluves ambient du guitariste (en charge également des machines et des synthétiseurs) viennent nimber cette rythmique soyeuse et mordante d'une brume froide et quasi désincarnée.
Malgré des atours finalement plutôt accessibles (tout est relatif), ce bloc magmatique dégage des atmosphères glaciales d'architectures bétonnées et futuristes, parfois inquiétantes ('Zeta 0000 1101'), souvent teintées d'étrangeté ('Zeta 0000 1111'). A l'image de son visuel et de ces pistes aux titres énigmatiques. Pugnace et tripant, "Machine Consciousness, Phase III" installe l'auditeur dans une ambiance irréelle que drape la froide mélancolie coutumière d'Eric Quach. Reste que détailler cet album se révèle en définitive des plus ardus, tant les mots peinent à saisir la teneur d'un matériau aventureux qui échappe aux descriptions habituelles. Mieux vaut tenter encore l'expérience d'une découverte dont l'ensorcelante beauté confine à une forme de transe hypnotique.
Poursuivant l'alliance entre le drone de Thisquietarmy et le jeu jazzy de Michel "Away" Langevin, "Machine Consciousness, Phase III" s'impose comme le meilleur album du duo et laisse espérer que les deux protagonistes n'en restent pas là et continuent de collaborer sous la bannière d'une musique aussi rêveuse que pulsative.