Entité majeure de la chapelle doom funéraire, Ahab n'en a pas moins développé dès sa naissance, il y a bientôt vingt ans déjà, un univers qui lui est propre, nourri aux embruns et puisant son inspiration dans toute une littérature maritime (notamment le "Moby Dick" d'Herman Melville). De là, l'étiquette "Nautik Funeral Doom" que les Allemands ont eux-mêmes inventée pour se définir. Guidés par une telle muse aquatique, il était évident qu'ils se pencheraient un jour ou l'autre sur "20 000 lieues sous les mers" de Jules Verne. C'est chose (bien) faite avec "The Coral Tombs" dont la pochette et les titres des chansons en divulguent d'emblée la thématique.
Du fait de la réputation du groupe et de l'interminable silence discographique dans lequel il s'est muré depuis 2015 et "The Boats Of The Glen Garig", ce cinquième album était donc fortement attendu. Non seulement fidèle au concept nautique qui a présidé à sa mise à la mer, Ahab n'a pas davantage renoncé à son format de prédilection qui lui commande toujours un menu forcément épique (plus de soixante minutes) et des compositions à l'avenant. De fait, on n'aborde pas un nouvel opus du quatuor comme n'importe quelle hostie de doom (ou pas), on s'y prépare comme avant une expédition, sachant qu'un long voyage nous attend, pavé de nombreuses embûches.
Cela est d'autant plus juste avec "The Coral Tombs" qui plonge imméditatement, comme l'annonce le tellurique 'Prof. Arronax's Descent Into The Vast Oceans', dans les profondeurs des abîmes, dans ce monde que la lumière n'atteint jamais et qui nous est encore inconnu. Oubliez la gentille adaptation de Richard Fleischer pour les studios Disney, au demeurant excellente, c'est au contraire une noirceur abyssale qui prédomine durant cette entame qu'un chant hurlé et une batterie façon Lapin Duracel enténèbrent d'une houle presque black metal. Très vite toutefois, la voix claire de Daniel Droste résonne avec toute sa fragilité, bouée miraculeuse à laquelle on s'accroche pour ne pas perdre pied, pour ne pas être avalé par le siphon tentaculaire de ces complaintes écrasantes que fendent également des lignes de guitares cristallines belles à pleurer.
S'il tangue tout du long entre l'obscurité tempétueuse et la clarté salutaire ('Collosus Of The Liquid Graves'), "The Coral Tombs" brille avant tout de ses échappées atmosphériques, de ces remontées à la surface, lesquelles se confondent donc avec le chant limpide du capitaine au long cours capable de tirer toutes les lames de l'océan à l'image du très beau 'Aegri Somnia' que secouent néanmoins les assauts telluriques d'un séisme sous-marin.
Vibrant d'une force digne de plaques tectoniques qui se chevauchent, l'album impressionne par ailleurs par ses nombreuses nuances. Le travail d'écriture et d'arrangement est superbe ('The Sea As A Desert'), il sait capter à la fois la beauté mystérieuse de ces profondeurs marines et restituer l'essence du livre de Jules Verne, tout en mélancolie et en puissance furieuse, comme l'illustre admirablement ce 'Maelstrom' titanesque qui s'abîme inexorablement dans une fosse Marianne sans espoir de retour.
Ahab revient à son meilleur avec "The Coral Tombs", récit houleux riche en atmosphères dramatiques et en noirceur orageuse.