Le 4 décembre 1993 disparaissait un des plus grands guitaristes du XXème siècle, Frank Zappa. Depuis cette date tragique pour tout mélomane qui se respecte, des sorties posthumes se sont succédées, l'artiste américain ayant beaucoup enregistré de bandes de son vivant. Ce "Funky Nothingness", que l'on pourrait traduire par "le néant funky" ou "rien de funky", paru cette année, en fait partie et se place à la suite du renouveau personnel marqué par l'enregistrement de "Hot Rats" au cours duquel Frank Zappa délaissait les Mothers pour se rapprocher d'un son plus proche du jazz-fusion.
L'auditeur curieux qui n'aurait pas encore la chance d'avoir entendu la moindre note de Frank Zappa ne devrait pas commencer son écoute par cet album. "Funky Nothingness" se compose de 3 disques pour 3 heures 30 d'écoute... Autant le dire tout de suite, le résultat semble déjà copieux et se révèle vite indigeste - de courts morceaux anecdotiques ('Tommy/Vincent Duo I') voire des faux départs ('Twinkle Tits') auraient d'ailleurs mérité de passer à la trappe. La plupart des morceaux sont dupliqués sur les autres disques, avec d'infimes variations, qui ne sont pas plus susceptibles de nous réveiller. Les trois disques mettent en avant de longs, très longs bœufs qui malheureusement s'éternisent. 'I Am A Rollin Stone' est une longue déclinaison blues avec solo à la clé mais quelque peu lancinant et répétitif. 'Chunga's Revenge 5' donne le coup de grâce aux auditeurs écrasés sous un long solo de guitare en laissant place à un aussi long solo de batterie. Le minimalisme acoustique soporifique de 'Tommy/Vincent Duo' (du disque 3) n'a rien à envier à la partie acoustique de 'Moonchild' de King Crimson, qui se révèle bien plus efficace.
Tout n'est pas totalement à jeter dans cette trilogie du nonsense funk. Parmi les bonnes surprises, nous retrouvons l’intérêt de Frank Zappa pour dynamiter les genres de l'intérieur (blues sur le titre éponyme, la ballade 'Love Will Make Your Mind Go Wild', l'usage du piano ironique sur 'Twinkle Tits'. Il y a aussi des références à la discographie du maestro. Le riff de 'Chunga's Revenge' (le nom est déjà très évocateur) rappelle l'introduction de 'Lonely Little Girl'. 'Work With Me Annie' est un country qui évoque 'WPLJ' de "Burnt Weeny Sandwich". 'Tommy Vincent Duo II'' est plus complet et efficace que le premier et dernier segment et nous renvoie à 'King Kong'. ‘Transylvania Boogie’ évoque l'album "Apostrophe (')" avec une très bonne progression dramatique qui culmine sur un orgue inquiétant, le violon de Don Sugarcane Harris planant au-dessus de la mêlée. La fin de l'album offre par ailleurs deux nouvelles pistes très convaincantes, mais qui arrivent hélas un peu tard : 'Hallos And Arrows', avec sa guitare enjouée ainsi que 'Moldred', un jazz-fusion de qualité.
Frank Zappa est mort, vive Frank Zappa ! Hélas, cet album n'ajoutera rien à la mémoire du grand guitariste américain. Il aurait été plus pertinent de revoir le nombre de pistes, quitte à
sortir trois albums différents, et c'est ce que faisait Frank Zappa : les bandes
d'un seul concert pouvaient se retrouver sur plusieurs albums différents. Certes, il y a le plaisir de l'entendre jouer mais "Funky Nothingness" est à réserver aux aficionados du genre et à ceux qui ne sont pas effrayés par des longueurs exagérées et les doublons. Pas de quoi casser sa tirelire pour se payer cette tranche de funk.